Le Rapporteur — Perspectives pour 2019

Ne laissez pas votre intuition vous effrayer

Dans son livre La force de l’intuition, le journaliste et conférencier Malcolm Gladwell fait l’éloge de l’intuition. Grâce à ce sixième sens, qui est le fruit de nos expériences, de nos rencontres et de nos lectures, il nous est possible de prendre des décisions meilleures que celles qui sont fondées sur une réflexion consciente et délibérée. D’ailleurs, l’intuition gagne de plus en plus en importance dans le monde des affaires. Par exemple, pour départager deux candidats ayant un profil comparable, un responsable du recrutement aura tendance à se fier à son instinct. Mais qu’en est-il de l’intuition à l’égard de la Bourse?

Selon le blogueur Shane Parrish, l’intuition est efficace si les trois conditions suivantes sont réunies :

  1. L’environnement est immuable ou évolue lentement;
  2. La taille de l’échantillon est grande;
  3. La rétroaction est immédiate et précise.

Autrement dit, si nous avons l’occasion d’expérimenter et de mettre en pratique cet apprentissage grâce à une rétroaction fréquente dans un environnement stable, il est logique de recourir à l’intuition. Le maître d’échecs, l’astronome et le mathématicien sont des exemples d’experts pour lesquels l’intuition est un atout indéniable (Shanteau, 1992). En ce qui concerne les marchés boursiers, vu leur nature changeante, la première condition n’est pas respectée, limitant ainsi l’utilité de l’intuition. Il faut donc plutôt se fier à des modèles prédictifs. Voilà pourquoi nous utilisons des modèles d’analyse quantitative et faisons appel à notre modèle de prévision de récession économique pour guider nos décisions en matière d’investissement. Nous limitons ainsi le risque d’erreurs de jugement causées par l’intuition.

L’évaluation des marchés

La Bourse, c’est bien connu, est considérée comme un mécanisme d’anticipation. D’un point de vue théorique, en raison de la somme des connaissances, de l’expérience et du jugement des milliers de participants de marché, le cours d’une action intégrerait à tout moment toute l’information disponible, ce qui est vrai la grande majorité du temps. Il n’est donc pas rare de voir les cours boursiers réagir de manière excessive, à l’image de la récente correction boursière que nous avons connue l’automne dernier. En effet, nombre d’investisseurs ont liquidé leurs placements en actions en raison de l’incertitude causée notamment par les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, les négociations du Brexit et l’anticipation d’une récession globale en 2019.

Ce revirement significatif du sentiment des investisseurs s’est répercuté sur les niveaux de valorisation des marchés. En 2018, le S&P 500 a connu sa troisième plus importante contraction du ratio cours/bénéfice des 40 dernières années. Après avoir débuté 2018 nettement au-dessus de la moyenne des 25 dernières années – à 18 fois versus 16 fois –, le multiple a terminé l’année à des niveaux inférieurs. Pour 2019, ce ratio cours/bénéfice plus que raisonnable de 14,4 fois le bénéfice anticipé procure une marge de sécurité attrayante si jamais un ralentissement économique prononcé ou une récession se produisaient.

 

Une récession en 2019 ?

L'inversion de la courbe des taux d'intérêt aux États-Unis

Sans contredit, le concept de l’inversion de la courbe des taux d’intérêt figure parmi les outils d’analyse les plus simples et les plus populaires pour prévoir les périodes de ralentissement économique aux États-Unis. En effet, lorsque la courbe est « inversée », c’est-à-dire que le taux directeur établi par la Réserve fédérale américaine (taux d’intérêt à court terme) est supérieur au taux d’intérêt de dix ans (taux d’intérêt à long terme), le risque d’une récession est réel. En général, ce type de courbe est associé à une période de surchauffe économique qui se traduit par des pressions inflationnistes plus élevées, forçant la banque centrale américaine à intervenir en relevant de façon abrupte son taux directeur, ce qui crée inévitablement un ralentissement économique à plus long terme.

En fin d’année, l’écart entre le taux d’intérêt de 10 ans (2,68 %) et le taux directeur (2,50 %) n’était que de 0,18 %. Puisqu’au début de décembre, les taux d’intérêt de deux ans et de trois ans se sont négociés au-dessus du taux d’intérêt de cinq ans, plusieurs pensent que ce n’est qu’une question de temps avant que l’on assiste à une inversion de la courbe des taux d’intérêt. Le problème, c’est que depuis 1954, une telle inversion s’est produite à dix occasions et que l’économie américaine est tombée en récession à sept reprises. À première vue, cela semble être un indicateur robuste de prévision de récession. Or, cette inversion a tout de même déclenché un faux signal à trois reprises, c’est-à-dire que la courbe des taux d’intérêt s’est inversée sans qu’une récession soit confirmée dans les mois qui ont suivi. Voilà pourquoi nous avons créé notre propre modèle d’anticipation de récession économique. Notre objectif était de maintenir un taux de réussite élevé tout en réduisant le nombre de faux signaux. Pour plus de détails, nous vous invitons à lire Le Rapporteur – Notre modèle pour prévoir la prochaine récession.

Le 19 décembre dernier, lorsque la Réserve fédérale américaine a relevé son taux directeur de 0,25 % pour le porter à 2,50 %, nous avons émis un signal d’alerte de récession potentielle.

Critère de déclenchement : Le taux directeur (2,50 %) s’est négocié au-dessus de notre taux d’intérêt américain moyen de 10 ans (2,35 %), qui a été obtenu en calculant la moyenne des cours de clôture du taux d’intérêt à long terme depuis le début de la normalisation de la politique monétaire, en décembre 2015, jusqu’au 19 décembre 2018.

Critère de validation : L’écart entre le taux d’intérêt de 10 ans américain (2,77 %) et le taux directeur (2,50 %) doit être inférieur à 0,75 %, ce qui était le cas. Au 19 décembre dernier, la différence était de 0,27 % (2,77 % – 2,50 %).

Selon ce qui précède, on pourrait s’attendre à ce que les marchés boursiers maintiennent à court terme une tendance baissière. Or, par le passé, il s’est écoulé en moyenne 14 mois entre la date de déclenchement de notre modèle prévisionnel et celle d’un début de récession. Depuis 1950, ce phénomène s’est produit à neuf reprises et la performance moyenne du S&P 500 a été positive, de l’ordre de 3,95 %. Cette année, il est donc probable que les indices de référence affichent un rendement positif, et même qu’ils atteignent de nouveaux sommets.

 

Performance boursière en 2019 et notre gestion

Dans Le Rapporteur – 4e trimestre de 2018, nous avons évoqué la probabilité élevée d’un rebond des cours boursiers, étant donné un contexte économique tout de même favorable, une évaluation boursière plus que raisonnable du S&P 500 et le fait qu’une correction boursière n’entraîne pas nécessairement une récession à court terme. Cependant, la question demeure :sachant que notre modèle de prévision de récession a été déclenché, quelle sera notre stratégie de portefeuille ?

Selon nous, les marchés intègrent déjà un scénario de ralentissement significatif de la croissance économique pour 2019. Le pessimisme actuel diminue le risque d’une baisse importante des marchés et augmente le potentiel de rebond advenant un scénario moins pire que prévu. Un retour au multiple moyen historique de 16,1 générerait un rendement très intéressant de plus de 10 % en 2019.

Malgré tout, compte tenu d’un ensemble de facteurs de risque et du fait que notre modèle de récession s’est déclenché, nous croyons que la prudence demeure de mise. Dans un scénario de fin de cycle, nous croyons que notre style de gestion prudent nous permettra de créer de la valeur ajoutée. Au cours des dernières années, le rendement des actions axées sur la croissance a surpassé celui des actions de style valeur. Or, à l’approche d’une récession, il est reconnu que ces dernières ont tendance à mieux performer. Cela s’explique entre autres par une meilleure performance des secteurs défensifs, qui sont moins sensibles au cycle économique. Notre portefeuille Croissance est déjà positionné en ce sens.

Comme nous le mentionnons plus haut, le scénario le plus probable est celui d’un marché haussier en 2019. Dans cette éventualité, toutes choses étant égales par ailleurs, les actions ordinaires et les actions privilégiées devraient bien performer, tandis que les obligations devraient moins bien performer. Nous pourrions profiter d’un contexte de rebond pour réduire progressivement notre pondération en actions et notre exposition au dollar américain. Dans la foulée, nous augmenterons le niveau d’encaisse et la portion obligataire des portefeuilles en obligations.

Voyons maintenant plus en détail notre positionnement à l’égard des actions détenues dans nos portefeuilles et par rapport au dollar américain.

1. Les actions détenues dans nos portefeuilles

Quand l’occasion se présentera, nous procéderons à des ventes partielles ou totales de positions pour tendre vers une répartition d’actifs plus défensive advenant un scénario de récession potentiel. Voici un aperçu de notre plan d’action.

En 2018, le bénéfice par action du S&P 500 a été de 162 $. Selon le consensus établi par Yardeni Research, il sera de 174 $ en 2019, soit une croissance des bénéfices de 7,5 %, ce qui est conforme au taux de croissance historique moyen. Comme le multiple moyen des 25 dernières années est de 16, nous entreprendrons notre processus de réduction de la portion Croissance lorsque le S&P 500 se négociera à un ratio cours/bénéfice d’environ 15 à 16, soit à l’intérieur d’une fourchette de 2 610 à 2 784 points. Pour chaque point d’expansion du multiple, d’autres transactions pourraient être effectuées.

Ratio cours/bénéfice du S&P 500 Niveau correspondant du S&P 500
16 2 784
17 2 958
18 3 132

2. Le dollar américain

En 2018, malgré l’incertitude entourant la nouvelle entente de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, la réforme fiscale américaine, les tensions commerciales globales et l’effondrement des cours pétroliers, l’économie américaine a mieux performé que l’économie canadienne pour ce qui est du produit intérieur brut (2,9 % vs 2,1 %). Sans surprise, l’écart entre les taux d’intérêt de 10 ans américain et canadien a pratiquement doublé l’an dernier, passant de 0,36 à 0,71 %. Le dollar américain s’est donc raffermi par rapport au dollar canadien (de 1,257 à 1,364 $ CA). Le portefeuille Croissance, qui comporte seulement 25 % d’actions canadiennes, était alors exposé favorablement à une appréciation du billet vert par rapport au huard, ce qui s’est produit en 2018 (contribution globale positive de 2,31 %). À titre d’information, voici un tableau qui illustre l’impact du dollar canadien sur chacune des devises détenues en portefeuille (au 31 décembre 2018).

  Pondération en portefeuille Effet du dollar canadien
États-Unis 52,80 % 4,26 %
Zone euro 8,40 % 0,30 %
Royaume-Uni 9,10 % 0,25 %
Japon 3,80 % 0,39 %

Le cycle haussier du dollar américain a débuté en 2011 et a maintenant plus de sept ans. Nous estimons que cette devise est actuellement légèrement surévaluée par rapport à la plupart des autres, notamment l’euro et le dollar canadien. En conséquence, même si nous n’anticipons pas de baisse importante à court terme, nous envisageons de réduire progressivement notre exposition au billet vert. Cette réduction devrait se traduire par la vente partielle ou totale de certains titres américains détenus en portefeuille. Le moment venu, un avis d’exécution vous sera envoyé.

Conclusion

Comme vous l’avez sûrement constaté, la fin de 2018 a été plutôt difficile pour les marchés. Or, nous abordons la prochaine année avec confiance, puisque nous avons un plan d’action fondé non pas sur les médias, les prévisions « catastrophes » ou notre intuition, mais bien sur un modèle prévisionnel rigoureux.

La récession est un phénomène auquel nous devons faire face. Comme nous sommes bien préparés, nous favorisons une transition plus en douceur en limitant le risque tout en nous exposant à d’agréables surprises. En cette période incertaine, ne laissez surtout pas votre intuition vous effrayer!

 

Sources :

Carin L. Pai. Growth vs. Value: Finding the Sweet Spot, Fiduciary Trust International, 16 octobre 2018.

Daniel Crosby. The Behavioral Investor, Harriman House, 2018.

James Shanteau. Competence in Experts: The Role of Task Characteristics. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 1992, 53, p. 252-266.

Shane Parrish. Daniel Kahneman and Herbert Simon on intuition, Farnam Street, mars 2012.

Wells Fargo Economics. Macro Manual-Annual Edition, 13 décembre 2018.

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