Le Rapporteur — Troisième trimestre de 2019

Se faire l’avocat du diable…

Imaginez le scénario suivant : vous faites l’épicerie et le préposé à la caisse vous offre un sac en plastique ou en papier. Par souci de l’environnement, lequel choisiriez-vous?

À la suite du passage au Québec de la jeune militante écologique Greta Thunberg et parce que certaines entreprises de renom (A&W, McDonald, Groupe St-Hubert et Starbucks) ont déclaré la guerre aux pailles jetables en plastique1, le sac en papier nous semble le choix évident. En revanche, voici une liste de faits tirés d’un balado produit par You Are Not So Smart2.

  • Produire un sac en papier entraîne une consommation d’eau trois fois plus importante que celle qu’exige la fabrication d’un sac en plastique;
  • Seulement 24 % des gens qui optent pour un sac en papier le réutilisent, comparativement à 67 % des gens qui utilisent un sac en plastique;
  • La production de papier entraîne une pollution atmosphérique 70 % plus grande que la production de plastique;
  • Le recyclage d’une tonne de papier exige 91 % plus de ressources énergétiques que le recyclage d’une tonne de plastique.

À la lumière de ce qui précède, il est crucial de développer notre pensée critique, un processus qui consiste à examiner les idées ou les situations afin de mieux les comprendre, d’en déterminer les enjeux et les conséquences, de porter un jugement éclairé et de prendre la bonne décision. La pensée critique fait appel à des habiletés diverses comme l’analyse, l’établissement de prévisions, le questionnement, l’étude des opinions et la détection des idées préconçues 3. Selon le Forum économique mondial 4, la pensée critique représente la deuxième compétence comportementale en importance à maîtriser sur le marché du travail en 2020.

Depuis quelque temps, nous privilégions une gestion de portefeuille plus défensive. Bien que les marchés boursiers affichent d’excellents rendements cette année, la majorité d’entre eux se négocient sensiblement au même niveau qu’à pareille date l’an dernier. La pensée critique s’avère donc pertinente pour faire le point sur notre positionnement. Concrètement, à l’image du scénario présenté en ouverture, nous allons nous faire l’avocat du diable, c’est-à-dire trouver des arguments favorisant une stratégie de portefeuille qui mise plutôt sur un marché boursier haussier. Ainsi, nous serons en mesure de rectifier le tir si la situation l’exige.

Faits saillants du deuxième trimestre

Selon nous, voici quatre constats positifs dont il faut tenir compte.

1. La Réserve fédérale américaine est proactive

Au cours du dernier trimestre, la Réserve fédérale américaine (Fed) a diminué le taux directeur à deux reprises pour le porter à 2 %. De plus, au 10 octobre 2019, les participants du marché obligataire évaluaient à près de 80 %5 la probabilité que la Fed abaisse de nouveau le taux directeur d’un quart de point (0,25 %) le 31 octobre prochain. Sachant que le taux de chômage se situe à 3,5 %6 (son plus bas niveau depuis décembre 1969) et que le taux d’inflation sur 12 mois (1,7 %) se trouve près de la cible de 2 %7, comment se fait-il que la Fed tende vers une politique monétaire expansionniste?

D’après son président, Jerome Powell, les récentes baisses du taux directeur font partie d’un ajustement de mi-cycle; voilà pourquoi elles n’indiquent pas le début d’une séquence de réductions du principal taux d’intérêt8. Cela se justifie par l’incertitude persistante concernant les négociations commerciales entre la Chine et les États-Unis ainsi que par le ralentissement marqué de l’activité manufacturière mondiale.

Par le passé, cette stratégie « d’assurance » a porté ses fruits, ce qui réjouit les investisseurs. Dans les années 1990, Alan Greenspan, président de la Fed à l’époque, a opté pour un ajustement de mi-cycle à deux reprises (1995 et 1996-1998), et tenez-vous bien : le rendement moyen du S&P 500 un an après la première baisse du taux directeur a été de 20 %9!

2. Une contribution moindre de l’activité manufacturière dans l’économie

Chaque mois, les gouvernements publient l’indice ISM manufacturier pour évaluer la vigueur du secteur industriel. Une lecture au-dessus de 50 indique une expansion de l’activité économique, tandis qu’un résultat en deçà de la barre des 50 signale plutôt une contraction. Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’activité manufacturière mondiale tourne au ralenti. En effet, pour le mois de septembre, les indices ISM manufacturiers européen (45,70), américain (47,80) et japonais (48,90) signalent un ralentissement.

La bonne nouvelle, c’est que la contribution du secteur industriel, mesurée en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), a diminué en importance au fil du temps. Par exemple, selon BCA Research, aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’activité manufacturière ne représente qu’environ 10 % de la performance économique, un apport nettement moindre à celui de 1970 (25 %).

3. Les dépenses de consommation demeurent robustes

Il est bien connu qu’en Amérique du Nord, les dépenses de consommation constituent près de 70 % de l’économie. Le consommateur joue donc un rôle central dans le soutien de la croissance économique. Heureusement, grâce à de bas taux d’intérêt, à un niveau de confiance élevé et à un marché de l’emploi vigoureux, le consommateur ne semble aucunement touché par le déclin de l’activité manufacturière, ce qui est très rassurant dans une perspective boursière haussière. À titre d’exemple, chez nos voisins du Sud, la progression des dépenses de consommation a été de 4,6 % au deuxième trimestre, une croissance inégalée en près de cinq ans10 . De plus, cette année, l’économie canadienne a créé quelque 358 000 emplois, son meilleur résultat depuis 200211 .

4. L’espoir renaît sur le front du conflit commercial sino-américain

En août dernier, les États-Unis ont annoncé, d’une part, une augmentation des droits de douane punitifs (de 25 à 30 %) qui entrerait en vigueur en octobre sur des marchandises chinoises représentant quelque 250 milliards de dollars d’importations annuelles et, d’autre part, l’imposition d’un nouveau tarif douanier à la mi-décembre sur une série de produits de grande consommation importés de Chine12 . Toutefois, en prévision d’une résolution du conflit commercial, les cours boursiers se négocient près de leurs récents sommets. D’ailleurs, au moment d’écrire ces lignes, les deux pays sont parvenus à conclure un accord partiel, suspendant ainsi la surtaxe prévue ce mois-ci13 .

Sommaire des rendements entre le 1er janvier et le 30 septembre 2019

Indice de référence Rendement
(converti en $ CA)
S&P 500 17,16%
S&P/TSX 19,07%
MSCI World 14,84%
MSCI EAFE 10,21%
FTSE TMX Canada Universe Bond 7,79%

 

Indice de référence Rendement
(calculé en $ US)
Or 14,81%
Pétrole 19,07%

Revue de la performance au troisième trimestre de 2019

Type de portefeuille Rendement du portefeuille (A) Rendement de l’indice
de référence (B)
Alpha (C) = (A) – (B)
Croissance 4,91 % 2,10 % 2,81 %
Obligataire – 0,43 % 1,20 % – 1,62 %
Actions privilégiées – 0,90 % 0,54 % – 1,44 %
Équilibré fiscal* + 2,74 % 1,52% 1,22%

Revue de la performance entre le 1er janvier et le 30 septembre 2019

Type de portefeuille Rendement du portefeuille (A) Rendement de l’indice
de référence (B)
Alpha (C) = (A) – (B)
Croissance 10,20 % 16,86 % – 6,65 %
Obligataire 0,64% 7,41 % – 6,78 %
Actions privilégiées – 0,90 % – 0,41 % – 3,15 %
Équilibré fiscal* 4,88 % 10,09% – 5,21%

* Le rendement est calculé à partir d’un compte client et ne tient pas compte des frais de gestion. Le rendement réel peut varier en fonction du moment de l’investissement. La répartition de l’indice de référence est la suivante : 25 % S&P/TSX, 25 % MSCI World, 25 % Indice d’actions privilégiées S&P/TSX et 25 % Indice obligataire FTSE TMX Canada Universe Bond pour le portefeuille équilibré fiscal. L’indice de référence du portefeuille Croissance est 50 % S&P/TSX et 50 % MSCI World, celui du portefeuille obligataire est 100 % FTSE TMX Canada Universe Bond et celui du portefeuille d’actions privilégiées est 100 % Indice d’actions privilégiées S&P/TSX.

Notre gestion

Comme nous venons de le démontrer, un scénario optimiste est réaliste. Cela dit, notre positionnement actuel ne nécessite aucune modification majeure.

Dans un premier temps, la performance relative du portefeuille obligataire a été affectée par la baisse prononcée des taux d’intérêt. Par exemple, au début de septembre, le taux d’intérêt américain de 10 ans se négociait à un niveau aussi bas que 1,43 %, soit un peu plus haut que son récent creux atteint à l’été 2016 (1,36 %). Si jamais la stratégie dite « d’ajustement de mi-cycle » de la Fed réussissait à retarder la récession, le marché obligataire serait vulnérable à un effondrement des cours – rappelons qu’il y a une relation inverse entre le taux d’intérêt et le prix d’un titre à revenu fixe. Dans le cas d’un très net ralentissement économique, nous sommes d’avis que la probabilité d’un environnement de taux d’intérêt plus bas aux États-Unis est faible. À l’approche de l’élection présidentielle de 2020, Donald Trump mettra les bouchées doubles pour se faire réélire. Il pourrait alors régler définitivement le conflit commercial avec la Chine, suggérer des mesures budgétaires (hausse des dépenses en infrastructures et militaires) ou réduire le taux d’imposition des particuliers. Ces initiatives favoriseraient alors des taux d’intérêt plus élevés. Autrement dit, le profil rendement-risque du marché obligataire est peu attrayant, ce qui est conforme à notre vision.

En ce qui concerne le portefeuille Croissance, d’une part, l’écart de performance relative s’est rétréci de près de 3 % au cours des trois derniers mois. Cela s’explique par l’excellente performance des actions de style valeur par rapport au rendement des titres de style croissance. Par exemple, en septembre, en l’espace de deux jours, le style valeur a surpassé le style croissance de 6 %14 ! Dans un contexte où les taux d’intérêt se stabilisent ou reprennent une tendance haussière, le style valeur pourrait surprendre.

D’autre part, notre niveau d’encaisse et d’obligations à court terme est justifié (15 %). L’optimisme décrit dans la section précédente se reflète en partie dans les cours boursiers. Selon le consensus des analystes financiers, le bénéfice par action du S&P 500 sera de 182 $ en 2020, soit une croissance des bénéfices de 11 % à partir du niveau anticipé pour 2019 (164 $)15 . Dans l’éventualité d’une baisse des dépenses de consommation, d’une crainte de récession ou d’une escalade dans le conflit commercial sino-américain, les prévisions à l’égard des bénéfices devront alors être revues à la baisse, ce qui pourrait créer une pression baissière sur les cours boursiers. Grâce à nos liquidités, nous serons alors en mesure de profiter des occasions d’investissement qui se présenteront.

Conclusion

Au 16e siècle, l’avocat du diable était le religieux de l’Église catholique romaine chargé de trouver des arguments contre la canonisation d’un candidat. Son rôle était alors de recourir à la pensée critique pour s’assurer que le futur saint ait un comportement exemplaire. Cette fonction a été abolie par le pape Jean-Paul II en 198316 . Cependant, la logique derrière ce principe demeure d’actualité. Nous nous sommes donc prêtés à l’exercice en évoquant quatre facteurs positifs pour les marchés boursiers. Et, après mûre réflexion, nous avons décidé de prôner le statu quo.   

 

Sources :

Agence France-Presse (2019). Guerre commerciale avec Pékin : Trump en rajoute. TVA Nouvelles. https://www.tvanouvelles.ca/2019/08/23/la-chine-impose-de-nouveaux-tarifs-douaniers - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Agence France-Presse (2019). L’inflation aux États-Unis stagne et déçoit en septembre. La Presse.ca. https://www.lapresse.ca/affaires/economie/201910/10/01-5244838-linflation-aux-etats-unis-stagne-et-decoit-en-septembre.php - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

CME Group (2019). CME FedWatch Tool. https://www.cmegroup.com/trading/interest-rates/countdown-to-fomc.html - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Imbert, F. (2019). There’s a sudden transformation taking place in the stock market and it’s unnverving some investors. CNBC. https://www.cnbc.com/2019/09/10/a-sudden-transformation-in-the-stock-market-unnerved-investors.html - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Li, Y. (2019). Similar ‘adjustments’ by the Federal Reserve in the 1990s led to boom times for stocks. CNBC. https://www.cnbc.com/2019/08/01/similar-adjustments-by-the-federal-reserve-in-the-1990s-led-to-boom-times-for-stocks.html - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

McRaney, D. (2018). YANSS 120- The Backfire Effect-Part Four. Podcast. You Are Not So Smart. https://youarenotsosmart.com/2018/01/29/yanss-120-the-backfire-effect-part-four/ - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Société Radio-Canada (2019). Trump annonce un accord commercial avec la Chine. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1342235/accord-partiel-usa-chine-report-hausse-droits-douane - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Sonders, L. et Kleintop, J. (2019). Schwab Market Perspective : Hitting the Ceiling. Advisor Perspectives. https://www.advisorperspectives.com/commentaries/2019/10/01/schwab-market-perspective-hitting-the-ceiling - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Ste-Croix, J. (2017). La pensée critique, une simple façon de penser! Éduc. https://www.lecentrefranco.ca/educo/la-pensee-critique-une-simple-facon-de-penser/ - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Tessier, M. (2018). Pailles en plastique : au tour de Starbucks de les bannir. La Presse. https://www.lapresse.ca/environnement/pollution/201807/09/01-5188783-pailles-en-plastique-au-tour-de-starbucks-de-les-bannir.php - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Touitou, D. (2019). Le chômage aux États-Unis à son plus bas niveau depuis près de 50 ans. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/economie/564129/le-chomage-aux-etats-unis-a-son-plus-bas-depuis-pres-de-50-ans - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Vallières, M. (2019). À suivre cette semaine : la Fed attendue en baisse de taux préventive. La Presse.ca. https://www.lapresse.ca/affaires/economie/201909/15/01-5241362-a-suivre-cette-semaine-la-fed-attendue-en-baisse-de-taux-preventive.php - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Vittecoq, F. (2012). La petite histoire d’une expression : Se faire l’avocat du diable. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. https://www.btb.termiumplus.gc.ca/tpv2guides/guides/chroniq/index-fra.html?lang=fra&lettr=indx_autr8hiVhrxl0SEI&page=9MU0xR62Yemc.html - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

World Economic Forum (2016).The Future of Jobs. Global Challenge Insight Report. http://www3.weforum.org/docs/WEF_Future_of_Jobs.pdf - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

Yardeni, E. Abbott, J. (2019). Stock Market Briefing: S&P 500/400/600 Weekly Fundamentals. Yardeni Research. https://www.yardeni.com/pub/peacockfeval.pdf - Lien externe au site. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Consulté en octobre 2019.

  1. Tessier (2018)Return to footnote 1 referrer
  2. McRaney (2018)Return to footnote 3 referrer
  3. Ste-Croix (2017)Return to footnote 5 referrer
  4. Forum économique mondial (2016)Return to footnote 7 referrer
  5. CME Group (2019)Return to footnote 9 referrer
  6. Touitou (2019)Return to footnote 11 referrer
  7. Touitou (2019)Return to footnote 13 referrer
  8. Vallières (2019)Return to footnote 15 referrer
  9. Li (2019)Return to footnote 17 referrer
  10. Sonders et Kleintop (2019)Return to footnote 19 referrer
  11. Commentaire émis par Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Desjardins.Return to footnote 21 referrer
  12. Agence France-Presse (2019)Return to footnote 23 referrer
  13. Société Radio-Canada (2019)Return to footnote 25 referrer
  14. Imbert (2019)Return to footnote 27 referrer
  15. Yardeni et Abbott (2019)Return to footnote 29 referrer
  16. Vittecoq (2012)Return to footnote 31 referrer

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