Le Rapporteur – Premier trimestre de 2022

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple

Lorsque nous rédigeons une lettre financière, nous gardons en tête les trois objectifs suivants : relater les faits saillants de l’actualité boursière, économique et financière, partager notre vision des choses et vulgariser les notions relatives à l’investissement boursier. Sur ce dernier point, nous privilégions le « rasoir d’Occam », un principe de raisonnement selon lequel l’hypothèse suffisante la plus simple doit être priorisée lorsque vient le temps d’expliquer un phénomène. On résume souvent cette manière de penser par les formules « L’explication la plus simple est la bonne » ou « Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ». Cela s’avère fort utile pour déterminer, entre autres, la principale raison derrière les fluctuations boursières à un moment précis. Pour mieux saisir ce point, rien de mieux qu’un exemple historique.

Au cours de l’élection présidentielle américaine en 1992, James Carville, le conseiller politique du candidat victorieux Bill Clinton, ne cessait de rappeler à son équipe que l’unique priorité des électeurs était l’état de l’économie, d’où sa citation restée célèbre : « C’est l’économie, stupide! ». Au lieu de s’éparpiller dans toutes les directions, le parti démocrate a misé sur un message à la fois simple, mais tellement percutant.

Nous nous inspirons donc de la tactique employée par ce fin stratège qui se concentre sur l’essentiel en résumant ainsi ce qui s’est passé au cours du récent trimestre : c’est l’inflation!

Sommaire des rendements – de janvier à mars

Indices de référence Rendement en $ CA
S&P 500 -5,86 %
S&P/TSX +3,84 %
MSCI World -6,29 %
MSCI EAFE -7,01 %
FTSE TMX Canada Universe Bond -6,97 %
Indices de référence Rendement en $ US
Or +5,92 %
Pétrole +33,33 %

En consultant les données ci-dessus, il est facile de constater un environnement macroéconomique marqué par l’intensification des pressions inflationnistes compte tenu de la fulgurante montée du West Texas Intermediate (WTI), cours de référence du pétrole aux États-Unis, la spectaculaire baisse des cours obligataires1 (FTSE TMX Canada Universe Bond) ainsi que la surperformance du marché boursier canadien (S&P/TSX). Il est bon de rappeler que ce dernier indice de référence bénéficie davantage de la hausse des prix énergétiques et des matières premières.

Cela s’explique par le choc d’offre causé par la crise russo-ukrainienne2 combiné aux lectures d’inflation déjà élevées (Canada : +5,7 %3 et États Unis : +7,9 %4 en février), résultat de la relance économique après la vague du variant Omicron de même que des perturbations persistantes dans les chaînes d’approvisionnement. En conséquence, la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine (Fed) n’ont eu d’autre choix que de préparer la communauté financière à plusieurs hausses successives de leurs taux directeurs, l’objectif étant de réduire la flambée des prix en réduisant la demande.

Toutefois, le durcissement de ton de la Fed a occasionné de nombreuses inversions au sein de la courbe des taux d’intérêt aux États-Unis. Aux fins de rappel, la courbe est dite « inversée » lorsqu’un taux d’intérêt à court terme est supérieur au taux d’intérêt d’une durée plus longue, comme les taux d’intérêt à 2 ans et à 5 ans qui se sont cotés au-dessus du taux d’intérêt à 10 ans en mars dernier. En général, ce type de courbe est associé à une probabilité de récession plus grande.

La raison en est que la direction des taux d’intérêt à court terme est dictée par la politique monétaire, tandis que le comportement des taux d’intérêt à long terme est plutôt influencé par les attentes des participants du marché obligataire quant aux perspectives de croissance économique. Si ces derniers prévoient un essoufflement de l’activité économique, voire une récession, justement à cause d’une politique monétaire trop restrictive, ils se réfugieront alors dans des obligations ayant des échéances de longue durée, ce qui crée une pression à la baisse sur les taux d’intérêt correspondants. Sachant qu’en période d’inflation soutenue, les taux d’intérêt à court terme se maintiendront à la hausse, c’est donc à ce moment qu’une inversion de la courbe des taux d’intérêt risque de se matérialiser.

Notre gestion

Selon ce qui précède, est-ce le temps d’ajuster le tir pour tendre vers une stratégie de portefeuille plus défensive?

Nous sommes d’avis qu’il est encore trop tôt pour envisager un tel positionnement pour les raisons suivantes :

  • Aux États-Unis, lors des six derniers épisodes où le taux d’intérêt à 2 ans s’est échangé au-dessus du taux d’intérêt à 10 ans, le délai moyen avant le début d’une récession a été de 18 mois5;
  • Notre modèle de prévision de récession économique, basé sur la relation différentielle entre le taux directeur et le taux 10 ans, n’a émis aucun signal d’avertissement;
  • Pour le dernier trimestre, le marché obligataire a enregistré sa pire performance en plus de 40 ans, déclenchant ainsi un important transfert de capitaux de la classe d’actifs des obligations vers celle des actions aux États-Unis. D’après une analyse effectuée par DataTrek, les investisseurs ont liquidé quelque 26 milliards de dollars de valeur en fonds obligataires au cours des trois premières semaines de mars. Sur la même période, on a également constaté l’inverse, soit plus de 30 milliards de dollars de valeur qui ont été investis dans des fonds d’action6. Dans un contexte où le rendement offert par les revenus fixes est inférieur au taux d’inflation (taux d’intérêt réel négatif), les actions restent la classe d’actifs à prioriser;
  • Les dépenses de consommation sont au rendez-vous. D’abord, le marché de l’emploi demeure en progression avec de très faibles taux de chômage tant au Canada (5,3 %7 ) qu’aux États-Unis (3,6 %8 ) pour le mois de mars. Ensuite, au quatrième trimestre de 2021, le bas de laine des consommateurs canadiens et américains se portait bien, les taux d’épargne moyens respectifs étant de 6,4 %9 et de 8,2 %10. Pour vous donner une idée, le taux d’épargne annualisé canadien a oscillé entre 2 % et 5 % au cours des 20 dernières années11, alors que le taux d’épargne annuel moyen historique est d’environ 9 % chez nos voisins du Sud12. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’effet de richesse sur la consommation engendré par la hausse constante du prix des biens immobiliers en Amérique du Nord.
  • Les analystes financiers sont confiants quant aux anticipations de croissance des bénéfices aux États-Unis. En effet, le bénéfice par action (BPA) attendu pour le S&P 500 cette année est de 227 $, soit une croissance fort respectable de +9 % à partir du niveau réalisé l’an dernier (209 $). De plus, pour 2023, on prévoit une autre année record avec un BPA prévu de 250 $ pour le S&P 50013.

Revue de performance – premier trimestre

Type de portefeuille Rendement du portefeuille (A) Rendement de l’indice de référence (B) Alpha (C) = (A) – (B)
Croissance +4,50 % -1,23 % +5,73 %
Obligataire -5,10 % -6,97 % +1,87 %
Actions privilégiées -3,70 % -2,53 % -1,17 %
Équilibré fiscal* +0,36 % -2,99 % +3,35 %

D’un point de vue de la performance du portefeuille Équilibré fiscal, on s’en tire très bien malgré les circonstances. Tout d’abord, notre style valeur a grandement bénéficié de la hausse des taux d’intérêt tant sur le plan de la performance absolue que relative (portefeuille Croissance). En outre, à un certain moment cette année, le NASDAQ était en baisse de plus de 20 %, sans oublier le fait que les incertitudes ainsi que la volatilité provoquée par le conflit russo-ukrainien auront permis d’effectuer de nombreuses transactions à des moments opportuns. Pour plus de détails à ce sujet, nous vous invitons à consulter Le Rapporteur Avis d’exécution – Guerre en Ukraine. Comme nous l’avons mentionné précédemment, notre stratégie de portefeuille reste inchangée et nous demeurons pleinement investis.

En ce qui concerne le portefeuille Obligataire, nous avons été en mesure de limiter les dégâts grâce à la détention d’obligations ayant des échéances de courte durée, une approche logique et avantageuse dans un contexte de taux d’intérêt à la hausse. Ceci étant dit, nous avons augmenté de nouveau la durée de la portion obligataire en revenus fixes pour tenir compte du fait que l’impressionnante hausse des taux d’intérêt reflète en grande partie le resserrement hâtif des conditions monétaires. Par exemple, au début avril, la probabilité était de 80 % que la Fed hausse son taux directeur de 50 points de base (0,50 %) lors des deux prochaines annonces prévues en mai et en juin. La durée de notre portefeuille obligataire est donc passée de 4,8 ans à 6,4 ans – une donnée qui demeure plus courte que celle de l’indice de référence correspondant qui est actuellement de 8,0 ans).

Voilà! En espérant que la lecture de cette lettre financière n’a pas été trop laborieuse et que nous avons atteint nos trois objectifs tout en gardant les choses simples!

Sources :

Agence France-Presse (2022). Le taux de chômage recule encore aux États-Unis . Le Devoir, 2 avril.

Agence QMI (2022). Le taux de chômage le plus bas jamais enregistré au Québec . Le Journal de Montréal, 8 avril.

Agence QMI (2022). Augmentations des dépenses et baisse des revenus : les Canadiens ont vu leurs épargnes diminuer . Le journal de Québec, 11 mars 2022.

Chabanas, J. (2022). L’inflation grimpe à 7,9 % en février aux États-Unis. TVA Nouvelles, 10 mars.

Cox, C. (2022). Months Between Start of Recession and First 2yr/10 yr Inversion . Twitter, 30 mars 2022.

DataTrek (2022). Yield Curve Stutters, EU/US Inflation, Big Tech Earnings. DataTrek Morning Briefing, 30 mars 2022.

La Presse Canadienne (2022). L’inflation est plus forte que la Banque du Canada l’avait prévu en janvier . Le Soleil, 25 mars.

Le Hirez, C. (2021). La TD s’attend à une forte croissance en 2022. Conseiller.ca, 23 décembre.

Trading Economics (2022). United States Personal Savings Rate.

Yardeni Research (2022). YRI S&P 500 Earnings Forecast. 4 avril.

YCharts (2022). US Personal Saving Rate.

  1. Il y a une relation inverse entre le taux d’intérêt et le prix d’un titre à revenu fixe.Return to footnote 1 referrer
  2. La Russie est un pays central en matière d’approvisionnement mondial en pétrole, en gaz naturel ainsi qu’en matières premières stratégiques, à usage industriel ou alimentaire (aluminium, blé, nickel, palladium).Return to footnote 3 referrer
  3. La Presse Canadienne (2022)Return to footnote 5 referrer
  4. Chabanas (2022)Return to footnote 7 referrer
  5. Cox (2022)Return to footnote 9 referrer
  6. Data Trek (2022)Return to footnote 11 referrer
  7. Agence QMI (2022)Return to footnote 13 referrer
  8. Agence France-Presse (2022)Return to footnote 15 referrer
  9. Agence QMI (2022)Return to footnote 17 referrer
  10. Trading Economics (2022)Return to footnote 19 referrer
  11. Le Hirez (2021)Return to footnote 21 referrer
  12. YCharts (2022)Return to footnote 23 referrer
  13. Yardeni Research (2022)Return to footnote 25 referrer

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