Le Rapporteur Express — Une occasion privilégiée

Sans contredit, La Joconde est l’une des œuvres d’art les plus célèbres et les plus convoitées au monde. Chaque jour, ce tableau attire entre 15 000 et 20 000 visiteurs et sa valeur est estimée à un milliard d’euros1 ! Mais qu’est-ce qui explique une telle notoriété? Son sourire énigmatique, le mystère entourant son identité ou le fait que cette peinture ait été réalisée par Léonard de Vinci? Eh bien, il paraît que le véritable engouement n’a débuté qu’en 1911, lorsque ce tableau a été volé. En effet, après deux ans de recherche intensive par les corps policiers et de couverture médiatique internationale, son succès auprès du grand public a été instantané lorsqu’elle a retrouvé sa place au Musée du Louvre, à Paris.

Le simple fait que ce Portrait de Mona Lisa soit la plus illustre toile au monde permet donc au Louvre d’attirer un nombre croissant de visiteurs. Toutefois, une question s’impose : cette renommée donne-t-elle nécessairement lieu à une expérience de qualité? Bien sûr, la réponse est non. D’une part, un récent sondage2   effectué auprès de 2 000 Britanniques révèle que 86 % d’entre eux qualifient La Jocondede « décevante »; d’autre part, à cause de la foule, le visiteur ne dispose que de 15 secondes en moyenne pour l’admirer3 ...

Comme vous le savez, en gestion de portefeuille, l’objectif ultime est la diversification. Pour y parvenir, le montant à investir est réparti traditionnellement entre trois principales catégories d’actifs : les actions, les obligations et les liquidités. Cette façon de procéder est la plus répandue et les plus grands financiers du monde ont bâti leur fortune et leur renommée sur cette répartition. Cependant, depuis quelques années, on constate un intérêt grandissant pour l’inclusion d’autres catégories d’actifs comme les placements alternatifs, les billets structurés, les infrastructures et les placements privés, ce qui, selon les promoteurs, permet d’optimiser le rendement et de réduire le risque d’un portefeuille4 . À l’image de La Joconde, on confond ici popularité avec efficacité.

La gestion de Groupe Ouellet Bolduc repose sur une diversification classique qui ne se laisse pas influencer par les courants à la mode et les tendances du jour. C’est dans cet esprit que s’inscrit ce Rapporteur, qui vise à vous faire connaître les actions privilégiées, une catégorie d’actifs qui fait partie du revenu fixe et qui gagne à être connue. Ces titres se trouvent dans une « salle d’exposition » que personne ne visite pour l’instant, mais quand ils regagneront leurs lettres de noblesse, la valeur ajoutée qu’ils apporteront aux portefeuilles sera difficilement reproduisible. 

Initiation aux actions privilégiées

Commençons par un survol des notions de base :

  • Une action privilégiée est un instrument financier émis par une entreprise. Au Canada, les principaux émetteurs proviennent des secteurs de la finance, de l’énergie, des télécommunications et des services publics. Comme une action ordinaire – et contrairement à une obligation –, elle se négocie sur une place boursière;
  • Avec une capitalisation boursière évaluée à quelque 60 milliards de dollars, le marché des actions privilégiées est 30 fois plus petit que celui des actions ordinaires au Canada 5 . Dès lors, le manque de liquidité peut être un enjeu au moment d’établir ou de liquider une position;
  • L’action privilégiée est considérée comme un titre hybride en ce sens qu’elle possède à la fois certaines caractéristiques d’une action ordinaire (le détenteur reçoit un dividende) et d’une obligation (son cours varie particulièrement en fonction de l’évolution des taux d’intérêt et de sa cote de crédit);
  • Grâce à un traitement fiscal avantageux, pour un taux de distribution équivalent et après impôts, le rendement en dividendes est plus élevé qu’un revenu d’intérêt provenant d’une obligation. C’est le principal attrait d’une action privilégiée;
  • D’ordinaire, le prix d’émission d’une action privilégiée est de 25 $. Ce montant sert de point de référence pour le calcul du dividende à recevoir. Par exemple, si le taux de distribution est de 5 %, l’investisseur reçoit 1,25 $ (25 $ x 0,05);
  • Si l’on veut obtenir une diversification idéale pour un portefeuille, les actifs ne doivent pas être corrélés, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas évoluer dans la même direction au même moment. Grâce au coefficient de corrélation, il est possible de quantifier la relation entre deux placements. Un coefficient de 1 indique qu’ils ont un comportement identique, tandis qu’un coefficient de 0 dénote une absence d’interdépendance. L’objectif est donc d’inclure un actif ayant de faibles coefficients de corrélation avec d’autres instruments financiers comme les actions privilégiées. En voici un aperçu sur la période allant de 2005 à 2014 6 .
Catégorie d’actifs Indice de référence Coefficient de corrélation
Obligations canadiennes FTSE TMX Canada Bond Universe 0,16
Obligations canadiennes S&P/TSX 0,44
Actions américaines S&P 500 en 0,29
Actions internationales MSCI EAFE en CAD 0,38

Les actions privilégiées à taux rajusté

Depuis quelques années, la composition du marché des actions privilégiées au Canada a évolué. Avant la crise financière de 2008, environ 80 % des actions privilégiées en circulation étaient de type « perpétuel », c’est-à-dire qu’elles versaient un dividende fixe et n’avaient pas d’échéance déterminée 7 . Aujourd’hui, ce sont plutôt les actions privilégiées à taux rajusté qui dominent et qui représentent 70 % des parts de marché 8 . Notre analyse portera donc sur cette catégorie.

Au moment de l’achat, le taux de dividende qui sera versé au détenteur est fixé pour les cinq prochaines années. À l’échéance, un nouveau taux de dividende est établi en fonction du taux d’intérêt canadien de cinq ans en vigueur, majoré d’une prime de rendement stipulée dans le contrat. Cette dernière est établie selon la cote de crédit de l’émetteur. Plus elle est élevée, plus la probabilité est forte que l’émetteur s’acquitte de ses obligations financières. La prime exigée sera alors moins importante que celle demandée pour un émetteur présentant un plus grand risque financier. Voici l’échelle de référence proposée par l’agence de notation Dominion Bond Rating Service (DBRS).

Cotes de crédit Qualité du crédit
Pfd-1 Supérieure
Pfd-2 Satisfaisante
Pfd-3 Adéquate
Pfd-4 Spéculative
Pfd-5 Très spéculative
0 Défaut

Notons que les positions détenues dans le portefeuille ont toutes une cote de crédit supérieure à Pdf-3. À titre d’exemple, la Banque Royale est notée Pdf-2 et Bell Canada Pdf-3.

Nous pouvons dégager deux constats des informations précédentes. D’une part, lorsque les taux d’intérêt diminuent, le cours d’une action privilégiée à taux rajusté recule pour refléter le fait que son taux de dividende sera éventuellement revu à la baisse au terme de sa période quinquennale. D’autre part, en se fiant aux cotes de crédit, il est possible de déceler des occasions d’achat en comparant le rendement exigé par les participants de marché et la prime jugée appropriée selon le classement de DBRS. Plus l’écart est grand, plus l’occasion est intéressante.

Une occasion d’achat?

Au début de juin, le taux d’intérêt canadien de cinq ans était de 1,30 %, soit en baisse de 1,15 % comparativement à son niveau de novembre 2018 (2,45 %). Cela s’explique entre autres par la récente chute des cours pétroliers, le différend commercial entre les États-Unis et la Chine, le ralentissement de l’économie mondiale et le fait que la Réserve fédérale américaine a décidé de mettre un frein à la normalisation de sa politique monétaire. Pour ces raisons, les participants de marché se sont rués sur le marché obligataire, ce qui a créé une pression à la baisse sur les taux d’intérêt 9 .

Dans un tel contexte, les actions privilégiées à taux ajusté ont chuté. Malheureusement, la nouvelle escalade des tensions commerciales a causé un vent de panique sur les marchés financiers, exacerbant ainsi cette pression baissière. Comme nous l’avons vu, en raison d’une liquidité insuffisante et de la présence accrue de petits investisseurs, les actions privilégiées se négocient à des niveaux plus bas que prévu. Pour vous donner une idée, prenons l’action privilégiée à taux ajusté de série H de la Banque Royale.

Caractéristique de l’émission de 2014 à 25 $ RY.PR.H

  • Dividende annuel de 0,98 $ pour les cinq premières années, soit 3,92 %;
  • Écart de réinitialisation de 2,26 %
  • Date de réinitialisation prévue le 24 août 2019 (2024-2029, etc.);
  • Cote de Pdf-2.

Considérant que nous sommes à deux mois de la date de réinitialisation et que le taux en vigueur sur les obligations du Canada de cinq ans est d’environ 1,40 %, le nouveau dividende sera fort probablement plus bas, soit à environ 0,92 $ à partir du 24 août 2019.

Au prix du 7 juin dernier de 17,25 $, le taux du dividende réinitialisé génère un rendement de 5,30 %, soit un résultat de 3,90 % supérieur au taux d’intérêt canadien de cinq ans (1,40 %). C’est ce qu’on appelle le « rendement exigé par les participants de marché ». Sachant que la cote de crédit de la Banque Royale est de qualité satisfaisante (Pdf-2), la prime excédentaire devrait davantage se situer entre 2 et 2,50 %. De toute évidence, un écart aussi important représente une excellente occasion d’achat!

En effet, même si le taux d’intérêt canadien de cinq ans demeure inchangé d’ici juin 2024, un simple rétrécissement de cet écart serait avantageux pour le cours de cette action privilégiée. Voici une simulation des cours anticipés dans cinq ans selon trois différents rendements exigés par les investisseurs.

Rendement exigé Cours de l’action privilégiée
3,00 % 20,80 $
2,50 % 23,46 $
2,00 % 26,91 $

En tenant compte de la distribution du dividende, voici les rendements annuels composés sur cinq ans :

selon trois différents rendements exigés par les investisseurs.

Rendement exigé Performance
3,00 % 8,98 %
2,50 % 11,51 %
2,00 % 14,46 %

Évolution future des taux d’intérêt

Comme celles de la Banque Royale, l’ensemble des actions privilégiées en circulation se butent au contexte de taux d’intérêt extrêmement bas. La grande majorité a vu leur dividende réinitialisé à la baisse, semant l’inquiétude chez certains investisseurs qui n’avaient pas envisagé un tel scénario.

Compte tenu du fait que les prix se sont rajustés plus que proportionnellement à la baisse des taux de dividende, il semble logiquement difficile d’imaginer un scénario similaire pour les cinq prochaines années.

Si vous êtes à l’aise avec le risque de crédit des positions en portefeuille et que vous envisagez que les taux d’intérêt remontent un jour ou l’autre, les actions privilégiées sont assurément une des catégories d’actifs qui vous conviennent le mieux. Notons qu’une relation rendement-risque aussi optimale ne se présente que dans des cas particuliers.

« La pensée mathématique est belle parce qu’elle est possible n’importe où. »

— Daniel Tammet, écrivain et poète anglais

Comme vous le savez, nous n’avons aucune emprise sur les agissements de Donald Trump, l’évolution des taux d’intérêt et surtout, l’humeur des participants de marché. C’est pourquoi les probabilités sont importantes lorsqu’il est question d’actions privilégiées à taux rajusté. En ayant recours à une analyse axée sur des chiffres et des scénarios, nous constatons qu’elles s’échangent à des niveaux aberrants. En plus d’être avantageuses sur le plan de la diversification, leur rapport rendement-risque est positif. Nous n’allons donc surtout pas rater une aussi belle occasion!

Sources :

Chang, E. (2019). Adding Alternative Investments to Your Portfolio. U.S. News, 15 avril.

Desjardins Courtage en ligne (2019). Regard sur les actions privilégiées. Notions de bourse.

De Taddeo, C. (2017). Une journée dans la vie de la Joconde. Le Journal du Dimanche, 20 juin.

Elkins, J. (2017). How Long Does it Take To Look at a Painting? HuffPost, 6 décembre.

Frank, R. (2016). Success and Luck: Good Fortune and the Myth of Meritocracy. Princeton, University Press.

Kerzérho, R. (2015). The Role of Preferred Shares In Your Portfolio. PWL Capital, février.

Stival, S. (2013). Prudence avec les actions privilégiées. Finance et Investissement, 1er décembre.

20 Minutes (2019). La Joconde, une attraction « décevante » pour 86 % des Britanniques selon un sondage, 29 avril.

  1. De Taddeo (2017)Return to footnote 1 referrer
  2. 20 Minutes (2019)Return to footnote 3 referrer
  3. Elkins (2017)Return to footnote 5 referrer
  4. Chang (2019)Return to footnote 7 referrer
  5. Kerzérho (2015)Return to footnote 9 referrer
  6. Kerzérho (2015)Return to footnote 11 referrer
  7. Stival (2013)Return to footnote 13 referrer
  8. Desjardins Courtage en ligne (2019)Return to footnote 15 referrer
  9. Il existe une relation inverse entre le taux d’intérêt et le prix d’un titre à revenu fixe.Return to footnote 17 referrer

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