Le Rapporteur – Premier trimestre de 2023

LA COMPLAISANCE DES MARCHÉS FINANCIERS

En 2004, dans le cadre d’une entrevue réalisée avec une journaliste du New York Times Magazine, le célèbre astrophysicien Stephen Hawking s’est fait poser la question suivante : « Comment faites-vous pour garder un aussi bon moral? ». Il faut comprendre que depuis les 40 dernières années, l’astrophysicien souffre de la sclérose latérale amyotrophique (SLA), une pathologie neurodégénérative causant une insuffisance respiratoire ainsi qu’une perte de mobilité. Il a alors répondu ceci : « À 21 ans, mes attentes ont été réduites à néant. Tout ce qui s’est passé par la suite n’a été que du bonus. »

Cette citation résume bien l’état d’esprit des participants de marché à la fin du récent trimestre. Après avoir enregistré une performance fort satisfaisante jusqu’à la mi-février, le S&P 500 et le S&P/TSX ont effacé leurs gains de l’année à la suite de deux catalyseurs négatifs. Il y a eu d’abord l’anticipation d’une possible hausse de 50 points de base (0,50 %) du taux directeur américain qui devait être annoncée le 22 mars, puis la faillite de la Silicon Valley Bank, la 16e banque en importance aux États-Unis, qui a déclenché une crise bancaire entraînant dans son sillage les institutions financières Signature Bank et Credit Suisse.

Vers la mi-mars, les attentes d’une année de rendements positifs étaient réduites à néant, ouvrant ainsi la porte à des surprises positives, ce qui s’est produit. En raison du risque accru de récession, la communauté financière a commencé à escompter non seulement la fin du resserrement de la politique monétaire américaine, mais aussi le début d’un cycle baissier pour les taux d’intérêt. Ce bonus inattendu a aidé les investisseurs à retrouver le moral, d’où la belle tenue des marchés financiers au premier trimestre de l’année En effet, les espoirs sont grands de voir la Réserve fédérale américaine (Fed) amortir le choc advenant une contraction de l’activité économique.

SOMMAIRE DES RENDEMENTS — PREMIER TRIMESTRE 2023

INDICES DE RÉFÉRENCE Rendement en $ CA
S&P 500 +7,43 %
S&P/TSX Composite +4,56 %
MSCI WORLD +7,83 %
NASDAQ Composite +16,99 %
FTSE TMX Canada Universe Bond +3,22 %
INDICES DE RÉFÉRENCE Rendement en USD
Or +7,95 %
Pétrole -5,72 %

REVUE DE PERFORMANCE — PREMIER TRIMESTRE DE 2023

TYPE DE PORTEFEUILLE GOB Indice de référence Valeur ajoutée
CROISSANCE +3,90 % +6,20 % -2,30 %
OBLIGATAIRE +3,03 % +3,22 % -0,19 %
ACTIONS PRIVILÉGIÉES +3,47 % +2,27 % +1,20 %
ÉQUILIBRÉ FISCAL +3,53 % +4,50 % -0,97 %

QUAND LES DERNIERS SONT LES PREMIERS

L’une des particularités de la performance observée depuis le début de l’année est que les actions ayant affiché le pire rendement en 2022 sont celles qui trônaient au sommet des actions les plus performantes au 31 mars. À l’inverse, les actions qui se sont le plus démarquées l’année dernière accusaient le plus grand retard sur la même période. Cela peut expliquer l’écart de performance trimestrielle entre le NASDAQ et le S&P 500. Ce revirement de situation n’est pas sans rappeler 2020 et 2021 où la prise de risque était valorisée, conséquence d’un sentiment généralisé de complaisance qui régnait grâce à des politiques budgétaires et monétaires des plus accommodantes.

RENDEMENT 2022 2023
QUINTILE # 1 -45,20 % +9,80 %
QUINTILE # 2 -26,20 % +3,10 %
QUINTILE # 3 -13,90 % +4,10 %
QUINTILE # 4 -0,80 % -0,10 %
QUINTILE # 5 +29,4 % -2,40 %

Source: Jeffrey Buchbinder. First Quarter Market Observations. LPL Financial Research, 31 mars 2023

RENDEMENT EN $ CA 2022 2023
NASDAQ -27,81 % +16,99 %
S&P 500 -12,42 % +7,43 %

NOTRE GESTION DE PORTEFEUILLE

Ce qui est intéressant, c’est que notre portefeuille Croissance a généré une performance trimestrielle plus que respectable malgré l’envolée des titres de croissance et notre haut niveau de liquidités. Malgré tout, une question s’impose : sachant que les marchés financiers réagissent favorablement en anticipation d’un assouplissement de la politique monétaire américaine, devrions-nous adopter une posture plus optimiste dans notre gestion de portefeuille? D’après nous, il est encore trop tôt pour considérer que l’actuel rebond des cours boursiers perdurera pour les trois raisons exposées ci-dessous.

No 1 : Un degré moindre d’anxiété

Aux fins de rappel, une lecture élevée de l’indice de volatilité du S&P 500 (le VIX) indique une nervosité accrue des participants de marché, tandis qu’une lecture basse évoque une certaine sérénité. Le VIX a clôturé le premier trimestre à 19, soit à un niveau nettement inférieur à sa lecture moyenne enregistrée en 2022 (26) et légèrement en deçà de sa moyenne historique de 20. C’est un fait plutôt surprenant si l’on considère l’incertitude liée à l’amplitude, la durée et la portée de l’éventuelle récession sur la croissance des bénéfices des entreprises. En date du 31 mars, pour 2023, le bénéfice par action attendu pour le S&P 500 était de 220 $, ce qui représenterait un niveau plus élevé que celui généré l’année dernière (218 $). Cela traduit un optimisme certain quant à l’aptitude des entreprises à dégager des bénéfices satisfaisants malgré le contexte moins évident.

Cependant, par le passé, il s’est écoulé en moyenne 14 mois entre la date de déclenchement de notre modèle prévisionnel et celle du début d’une récession. Étant donné que cet outil d’analyse a émis un signal d’alerte d’une récession potentielle à l’automne dernier, il faut s’armer de patience, d’autant plus que le délai de transmission prend du temps à se matérialiser pleinement. Ce concept est défini comme étant le temps nécessaire pour que le cumul des hausses de taux d’intérêt ait une incidence néfaste sur l’économie, une notion qui a été traitée dans le Rapporteur-Perspectives 2023.

No 2 : Nous ne devrions pas revivre la crise financière de 2008

Personne ne peut prédire exactement quelles seront les conséquences de la récente panique bancaire. D’entrée de jeu, nous sommes d’avis que cette situation n’est pas comparable à celle vécue lors de la crise financière de 2008. Tout d’abord, ce sont principalement les banques régionales américaines qui ont été affectées, alors que l’ensemble du secteur bancaire américain avait été touché il y a quinze ans. Ensuite, les banques centrales et les instances gouvernementales sont intervenues beaucoup plus rapidement pour stopper l’hémorragie et, surtout, pour restaurer la confiance dans le système bancaire. Jusqu’à preuve du contraire, le pire semble être derrière nous, alors qu’à la suite de la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, un plan de sauvetage n’avait été annoncé qu’un mois plus tard. Enfin, les grandes banques américaines sont mieux capitalisées qu’à l’époque grâce à la mise en place de la réforme Dodd-Frank qui les oblige à la fois à maintenir un niveau de liquidité suffisant et à subir annuellement un test de résistance bancaire. Ce dernier est un exercice de simulation visant à évaluer leur capacité à composer avec des conditions économiques et financières extrêmes.

Cela étant dit, lors des crises bancaires passées, les conditions de crédit ont eu tendance à se resserrer, sans oublier l’adoption de nouvelles réglementations visant à contraindre davantage les institutions financières dans leurs stratégies d’affaires, le but étant de réduire la prise de risques. Comme le secteur bancaire est le poumon du financement de l’économie, il ne faut pas négliger un scénario de ralentissement plus prononcé que prévu de l’activité économique. Il s’agit là d’un autre argument en faveur d’une gestion de portefeuille plus prudente.

No 3 : L’inflation demeure élevée

Le taux directeur américain se situe à l’intérieur de la fourchette de 4,75 % à 5,00 %. À la fin du trimestre, la probabilité était de 30 % que la Fed abaisse le taux directeur de 25 points de base (0,25 %) à au moins trois reprises d’ici la fin de l’année. Cela voudrait dire que le taux d’inflation serait finalement maîtrisé, en ce sens qu’il tendrait vers le niveau cible de 2 %. Pour ce faire, Jerome Powell, président de la Fed, a besoin d’un marché de l’emploi moins vigoureux, un désir qui tarde à se réaliser. En fait, il souhaite une création nette d’environ 100 000 emplois sur une base mensuelle en vue de rétablir l’équilibre sur le marché du travail et, par ricochet, de réduire la pression inflationniste sur les salaires. Or, la création moyenne de 345 000 emplois pour les trois premiers mois de l’année et la croissance annualisée des salaires de plus de 4 % fait foi d’un marché de l’emploi très résilient. Étant donné que la stabilité des prix est actuellement la principale préoccupation de la Fed, il est possible que les taux d’intérêt ne baissent pas aussi rapidement qu’anticipé, un résultat qui décevrait sûrement les participants de marché.

CONCLUSION

Malgré le vent d’optimisme qui déferle sur les marchés financiers, le fait demeure que le S&P 500 se négocie toujours à l’intérieur de son fameux couloir transactionnel (entre 3 600 et 4 300 points), un aspect que nous avons abordé à de multiples reprises au cours des derniers mois. Face à notre scepticisme quant au maintien du momentum haussier des cours boursiers, nous en avons profité pour réduire de nouveau notre exposition en actions ordinaires dans nos modèles de gestion. Par exemple, pour le portefeuille Croissance, le niveau de liquidité est de 16,5 %, soit environ 4 % plus élevé que celui qui prévalait lors de la publication du Rapporteur-Perspectives 2023 en février dernier. D’ailleurs, dans la section Annexe, vous trouverez un sommaire des récentes transactions effectuées depuis dans ce portefeuille.

Il est à noter qu’en début d’année, nous avions vendu notre position dans le ZUB, le fonds équipondéré en banques américaines couvert en dollars canadiens. Comme le dit si bien l’adage, « Timing is everything » ou « Le choix du bon moment est essentiel » en français. Sans prétendre prédire l’avenir, nous sommes confiants à l’idée de déployer la liquidité à un moment plus propice vu la complaisance des marchés financiers!

ANNEXE

TITRE TYPE DE TRANSACTION PRIX DATE
Fonds négocié en Bourse allemand (EWG) Vente totale 27,47 $ 29 mars
CVS Health Corp. (CVS) Ajout 78,87 $ 29 mars
Manuvie (MFC.TO) Vente partielle 27,14 $ 7 mars

Dans un premier temps, nous avons réduit notre exposition dans l’action de Manuvie (MFC.TO) pour la simple et bonne raison qu’elle constituait une pondération considérable au sein du portefeuille Croissance, la conséquence heureuse d’une très belle performance en 2023. Dans un deuxième temps, nous avons liquidé le fonds négocié en Bourse allemand EWG puisqu’après un gain d’environ 10 %, il représentait un ratio rendement/risque beaucoup moins attrayant qu’au moment de son achat en mars 2022, soit en pleine crise russo-ukrainienne.

Concernant l’action de CVS Health (CVS), c’était plutôt la situation inverse. Selon notre outil quantitatif 3 pour 1 pour guider nos décisions d’investissement, pour une période de cinq ans, le prix cible est de 116 $ et le prix plancher est de 63 $. C’était donc une occasion de faire un ajout à notre position existante sous la barre du 80 $ vu le favorable ratio rendement/risque.

Sources :

Deborah Solomon (2004). The Science of Second-Guessing, The New York Times Magazine.

Jeffrey Buchbinder (2023). First Quarter Market Observations, LPL Financial Research.

Sarah Sermondadaz (2018). La longévité de Stephen Hawking, un mystère de la chance. Sciences et Avenir.

Chacun des conseillers de Valeurs mobilières Desjardins (VMD) dont le nom est publié en page frontispice du présent document ou au début de toute rubrique de ce même document atteste par la présente que les recommandations et les opinions exprimées aux présentes reflètent avec exactitude les points de vue personnels des conseillers à l’égard de la société et des titres faisant l’objet du présent document ainsi que de toute autre société ou tout autre titre mentionné au sein du présent document dont le conseiller suit l’évolution. Il est possible que VMD ait déjà publié des opinions différentes ou même contraires à ce qui est ici exprimé. Ces opinions sont le reflet des différents points de vue, hypothèses et méthodes d’analyse des conseillers qui les ont rédigées. Avant de prendre une décision de placement fondée sur les recommandations fournies au présent document, il est conseillé au receveur du document d’évaluer dans quelle mesure celles-ci lui conviennent, au regard de sa situation financière personnelle ainsi que de ses objectifs et besoins de placement.

Haut de page