2024, l’année de vérité

LE RAPPORTEUR PERSPECTIVES 2024

2024, L’ANNÉE DE VÉRITÉ

Le 24 août 2001 marque un moment mémorable dans l’histoire de l’aviation civile grâce au commandant Robert Piché. Ce jour-là, aux commandes d’un avion transportant 306 passagers, il a été contraint d’effectuer un atterrissage d’urgence après avoir perdu tout son carburant. Cette manœuvre, qui a nécessité un vol plané de 19 minutes sans soutien des moteurs, reste un exploit sans précédent qui figure parmi les sauvetages les plus spectaculaires jamais effectués1.

Face à ce défi de taille, le commandant Piché a vécu un moment de vérité, où il a dû soigneusement choisir la bonne stratégie. De tels instants, souvent des moments décisifs, ont une grande influence sur l’issue d’événements importants, que ce soit en plein vol ou en gestion de portefeuille.

Quant à ce dernier aspect, 2024 s’annonce une année déterminante qui apportera des réponses aux interrogations persistantes des investisseurs. On se demande, en particulier, si les banques centrales réussiront à maîtriser l’inflation et à atteindre leur cible de 2 % ou si la récession tant appréhendée frappera. Cette période d’incertitude dans laquelle nous nous trouvons explique le choix du titre de notre lettre financière, « 2024, l’année de vérité ».

« Les scénarios ne sont pas des prédictions, mais des outils pour mieux se préparer à l’avenir. » -Peter Bernstein, économiste et auteur américain

Bien que le commandant Piché était confronté pour la première fois à une situation aussi critique en vol, il est important de souligner que les pilotes de ligne s’entraînent régulièrement à gérer un éventail de scénarios, y compris des cas rares et exceptionnels. Cette formation approfondie les prépare à affronter une multitude de circonstances en vol. La répétition et la pratique leur permettent d’automatiser leurs réactions dans des conditions réelles, tout en gardant leur calme.

Dans le secteur financier, une préparation minutieuse est tout aussi vitale pour naviguer dans un environnement complexe. Pour élaborer notre stratégie de portefeuille pour l’année en cours, nous nous appuyons sur quatre scénarios économiques qui prennent en compte deux enjeux clés : le risque d’inflation et la croissance économique. Ces scénarios intègrent un large spectre de facteurs de risque, qu’ils soient économiques, financiers ou politiques. Cette démarche a motivé la participation du stratège financier François Trahan et du politicologue Rafael Jacob à notre conférence virtuelle annuelle. Leur rôle consistait à illuminer nos angles morts en mettant en relief des aspects pertinents et jusqu’alors non envisagés afin d’offrir de nouvelles perspectives sur diverses questions. Nous classons ces quatre scénarios économiques par ordre de probabilité, du moins probable au plus probable.

No 1 : Récession inflationniste (5 %)

La récession inflationniste, aussi connue sous le nom de stagflation, représente un scénario économique atypique et complexe à gérer. Généralement, lors d’une récession, une période caractérisée par un ralentissement prolongé et généralisé de l’activité économique, les prix tendent à baisser en raison d’une diminution de la demande puisque les consommateurs et les entreprises limitent leurs dépenses. Cependant, dans ce type de récession, un événement contraire se produit : malgré une économie affaiblie, l’inflation continue d’augmenter, ce qui signifie que les coûts des biens et services s’élèvent.

Cette conjoncture rend particulièrement ardue l’intervention des gouvernements et des banques centrales : leurs efforts pour dynamiser l’économie et contrer la récession risquent d’entraîner une hausse supplémentaire du coût de la vie. À l’inverse, des initiatives visant à modérer l’inflation pourraient aggraver la récession. Ce contexte a été particulièrement observé dans les années 1970, lorsqu’une flambée soudaine du prix du pétrole a conduit à un ralentissement économique global tout en provoquant une escalade des prix, créant un véritable casse-tête pour de nombreux pays. Il n’est donc pas surprenant que dans un tel scénario, les actions et les obligations aient tendance à sous-performer2. Dans la situation actuelle, cela pourrait correspondre, par exemple, à un conflit armé persistant au Moyen-Orient, un scénario envisageable, quoique peu probable.

No 2 : Résilience économique (20 %)

Ici, contrairement au scénario précédent, l’inflation reste sous contrôle sans pour autant progresser rapidement vers la cible de 2 %. En raison de la persistance de la croissance économique, les banques centrales ne peuvent abaisser rapidement leur taux directeur. Par exemple, le 24 janvier dernier, la Banque du Canada a annoncé anticiper une croissance positive, bien que modérée, du produit intérieur brut (PIB) en 2024 (+ 0,8 %) et que le taux d’inflation ne reviendra à sa cible qu’en 20253.

Aux États-Unis, bien que la croissance économique ait dépassé les prévisions en 2023, on prévoit un ralentissement pour cette année. Cependant, la question demeure : la Réserve fédérale américaine (Fed) pourra-t-elle respecter sa promesse de réduire le taux directeur à trois reprises dans un contexte économique aussi robuste? À titre d’exemple, selon l’outil CME FedWatch, à la fin décembre, les participants du marché obligataire estimaient à environ 90 % la probabilité d’une baisse du taux directeur par la Fed en mars 2024, alors qu’elle est actuellement de 40 %4.

En ce qui concerne les performances, les obligations connaîtraient une baisse si les taux d’intérêt venaient à augmenter. Quant aux actions, l’impact serait neutre. Tant que la vigueur économique soutient la croissance des bénéfices, un environnement de taux d’intérêt à la hausse serait moins problématique.

No 3 : Atterrissage en douceur (20 %)

Ce scénario incarne le meilleur des deux mondes. D’une part, la croissance économique se maintient ou ralentit progressivement pour prévenir une récession et, d’autre part, l’inflation poursuit sa décélération, se rapprochant de sa cible de 2 %. Cette dynamique offre aux banques centrales l’occasion de procéder à une réduction plus considérable des taux directeurs. Il est important de noter que ce contexte économique prévalait en fin d’année. Selon les projections de l’outil CME FedWatch, on s’attend à ce que le taux directeur soit abaissé entre cinq et six fois cette année4, malgré le fait que la Fed n’ait annoncé que trois baisses. Dans un tel contexte économique, il n’est pas surprenant que les marchés boursiers et obligataires affichent de bonnes performances.

Comme indiqué dans le Rapporteur - 4e trimestre de 2023, l’évaluation boursière du S&P 500 témoigne d’un optimisme certain. Le prix de clôture de ce dernier, au 29 décembre, fixé à 4 770 points, correspond à un ratio cours/bénéfice de 19,5 fois le bénéfice attendu de 245 $ pour 2024. Ce bénéfice prévu représente une hausse de 11 % par rapport au bénéfice de 221 $ réalisé en 2023.

No 4 : Récession modérée (55 %)

Voici le scénario économique que nous jugeons le plus probable, avec une probabilité de réalisation estimée à 55 %. Notre stratégie de portefeuille sera fondée sur le raisonnement inhérent à cette perspective économique. Avant de vous la présenter, nous souhaitons vous en expliquer les fondements.

Selon le signal d’alerte émis par notre modèle prévisionnel et compte tenu du concept de délai de transmission – soit le temps nécessaire pour que les hausses des taux d’intérêt affectent négativement l’économie – nous estimons que la probabilité d’une récession reste élevée. Dans ce contexte, le stratège financier François Trahan souligne que les économies ressentent pleinement l’impact de ces augmentations environ deux ans après le premier relèvement du taux directeur5. Aux États-Unis, cela laisserait présager qu’un ralentissement économique pourrait se manifester dès mars.

Dans ces circonstances, l’hypothèse d’une récession modérée semble pertinente. Une telle récession, qui se distingue par un ralentissement économique relativement limité et de courte durée, avec une baisse modérée du produit intérieur brut (PIB), est plausible. Les répercussions sur l’emploi et la consommation seraient en général contenues, évitant ainsi les conséquences plus graves typiques des récessions sévères. Malgré la pénurie de main-d’œuvre qui pourrait continuer à représenter un défi pour quelque temps, la situation financière des consommateurs américains semble solide.

À titre d’exemple, le rapport annuel sur la consommation de la Réserve fédérale américaine montre que la richesse nette des ménages médians a crû d’environ 25 % depuis 2020. Cette augmentation est largement attribuable à l’excédent d’épargne accumulé grâce à l’aide financière gouvernementale destinée à soutenir l’économie durant la pandémie.

Or, cette période d’économies excédentaires chez les ménages devrait s’achever en 2024 : la Réserve fédérale de San Francisco a observé qu’il restait « seulement » 290 milliards de dollars d’économies excédentaires en novembre dernier, une baisse significative par rapport au pic d’août 2021 de 2,1 trillions6 de dollars7.

En tenant compte de ces éléments, nous prévoyons que les actions pourraient sous-performer, notamment dans un contexte d’évaluation boursière du S&P 500 élevée. Cette analyse justifie entièrement le maintien d’un niveau de liquidités d’environ 20 % dans notre portefeuille Croissance. En ce qui concerne les obligations, il semble approprié de choisir une durée légèrement supérieure à celle de l’indice de référence. Cela permettrait de bénéficier d’un environnement de baisse des taux d’intérêt, conséquence de la contraction de l’activité économique et de la décroissance de l’inflation, phénomènes courants en période de récession modérée.

Nous entamons donc l’année 2024 sous le signe de la prudence, une année qui s’annonce décisive pour l’évolution de l’inflation et de l’économie. Pour compléter les informations présentées dans cette lettre financière, nous vous invitons à visionner l’enregistrement de notre conférence de début d’année, intitulée Plan de vol 2024, qui inclut également un segment bonus!

Sources :

Bank of Canada (2024). Bank of Canada maintains policy rate, continues quantitative tightening, January 24.

CME Group (2024). CME FedWatch Tool. Accessed January 25.

Laurentian Bank (2024). 2024 Economic Outlook. Economic Research and Strategy.

  1. Radio-Canada (2021)Return to footnote 1 referrer
  2. Il existe une relation inverse entre le taux d’intérêt et le prix d’un titre à revenu fixeReturn to footnote 3 referrer
  3. Banque du Canada (2024)Return to footnote 5 referrer
  4. CME Group (2024)Return to footnote 7 referrer
  5. Groupe Ouellet Bolduc (2024)Return to footnote 9 referrer
  6. Un trillion = 1 000 milliardsReturn to footnote 11 referrer
  7. Laurentian Bank (2024)Return to footnote 13 referrer

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