Le Rapporteur - Perspectives pour 2014

Depuis toujours, la nature humaine rêve de pouvoir prédire l’avenir et les diseurs de bonne aventure prospèrent. À Wall Street, des milliers d’experts tentent d’anticiper les marchés. Jusqu’à quel point les gens de la finance peuvent-ils voir dans le futur ? Voici ce que nous en pensons et un résumé des informations qui expliquent le positionnement de nos portefeuilles.

Tout d’abord, pour nous, il est clair que le jeu des prédictions à court terme est impossible et représente une perte de temps. Au jour le jour, le marché suit une tendance aléatoire. Les probabilités de hausse ou de baisse sont pratiquement identiques. Tenter de déjouer le marché est improductif et équivaut à tirer à pile ou face.

Toutefois, à long terme, les statistiques historiques, sans constituer une certitude, ouvrent une fenêtre intéressante sur l’avenir. La valeur d’une action et du marché dans son ensemble relève de la mathématique. L’analyse de données quantitatives sur une longue période et une bonne compréhension de l’environnement macro-économique permettent de maximiser les probabilités. Le passé n’est pas nécessairement garant de l’avenir, mais nous ne connaissons pas de meilleur indicateur. Winston Churchill ne disait-il pas : « Plus vous regardez en arrière, plus vous voyez devant » ?

Marché boursier et moyen statistique : où en sommes-nous ?

En tant qu’investisseurs, lorsque nous nous éloignons des moyennes statistiques à la hausse, comme en 2000 et 2007, nous devons être prudents. Et lorsque les marchés se situent nettement sous les moyennes historiques, c’est le temps d’être confiants. C’est pourquoi, en 2010, nous considérions le marché comme l’occasion d’une génération. La relation rendement-risque était optimale, surtout pour un Canadien investissant dans les multi-nationales américaines.

  • Le dollar canadien était surévalué d’environ 20 % par rapport à la parité des pouvoirs d’achat;
  • Le S&P 500 se situait dans la partie inférieure de sa fourchette normale d’évaluation en fonction des bénéfices et des valorisations normalisés.

Depuis quatre ans, la hausse du marché a été plus rapide que la croissance des bénéfices, ramenant les marchés à leurs moyennes statistiques. Maintenant que les valorisations se rapprochent de leur point d’équilibre, la prochaine hausse nécessitera un nouveau cycle de croissance pour les bénéfices et limite le potentiel de croissance.

  • Les marges bénéficiaires étant déjà à des niveaux élevés, la croissance des revenus devra s’accentuer;
  • Le redressement de la croissance mondiale devrait favoriser l’augmentation des ventes, ce qui gonflera les bénéfices et soutiendra le prochain segment haussier du marché boursier.

 

Désynchronisation de l’économie américaine et canadienne

Fait important à noter, nous anticipons à court terme une désynchronisation de la croissance entre le Canada et les États-Unis. Nous nous attendons à ce que le rythme de croissance soit nettement plus élevé de l’autre côté de la frontière. Nous sommes arrivés à cette conclusion en décortiquant les composantes du PIB de chacun de ces pays.

PIB = C + I + G + (X-M)

Les dépenses de consommation (C) représentent plus de 65 % du PIB au Canada et aux États-Unis. La situation financière des consommateurs est nettement à l’avantage des Américains et leur marché immobilier amorce une reprise. Au Canada, la consommation sera limitée par un endettement record et par un ralentissement dans le secteur de l’immobilier.

Du côté des investissements (I) résidentiels et non résidentiels, les États-Unis seront nettement avantagés. Les mises en chantier augmenteront chez nos voisins du Sud et reculeront au Canada.

L’entente sur le budget survenue en décembre aux États-Unis permet d’éliminer les coupes automatiques qui devaient avoir lieu en 2014. Pour la première fois depuis 2011, les dépenses gouvernementales contribueront positivement à la croissance américaine. Au Canada, les dépenses publiques, affectées par les objectifs de retour à l’équilibre budgétaire, seront au ralenti.

Du côté des exportations (X-M), la hausse anticipée pourrait se faire attendre au Canada. Les 540 000 emplois perdus dans le secteur manufacturier depuis 10 ans ne reviendront pas du jour au lendemain, même si le dollar canadien a amorcé une correction. Les États-Unis diminuent leurs importations de pétrole et connaissent une période de réindustrialisation qui influe favorablement sur le compte courant du pays. Encore ici, l’avantage se trouve aux États-Unis.

Croissance de l’économie canadienne : malheureusement, nous sommes pessimistes

L’immobilier et le taux d’endettement des Canadiens

Beaucoup d’institutions crédibles qui utilisent des méthodes de calcul fondamental arrivent à la même conclusion : le marché immobilier au Canada est l’un des plus surévalués parmi 20 pays développés. Nombreux sont ceux qui sont conscients de la situation depuis un certain temps, mais les forces naturelles du marché ont continué de pousser les prix à la hausse, ce qui augmente les conséquences potentielles sur l’économie canadienne.

Le taux d’endettement a atteint un sommet sans précédent au troisième trimestre. Le ratio de la dette par rapport au revenu annuel disponible des ménages a augmenté à 163,7 %. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont dépassé les 160 % en 2007, juste avant de connaître les difficultés qui ont généré la crise financière de 2008.

Dire que, cette fois, la situation est différente nous semble simpliste et dangereux.

La demande intérieure canadienne montre des signes d’essoufflement

Cet essoufflement s’explique par :

  • Une prudence accrue des ménages sur le plan de la consommation;
  • Des dépenses publiques anémiques en raison de la lutte aux déficits budgétaires;
  • Une croissance modeste des investissements non résidentiels;
  • Un ralentissement du marché immobilier qui devrait s’ajouter à cette liste en 2014.

Les appuis à la croissance économique seront donc assez peu nombreux au Canada au cours des prochains trimestres. Dans ces conditions, beaucoup d’espoir repose sur les exportations.

Malgré la reprise de l’activité étrangère et la baisse du dollar canadien, les exportations n’augmentent pas. La contribution de celles-ci à la croissance économique pourrait être décevante en 2014 pour plusieurs raisons :

  • Les difficultés d’acheminement du pétrole canadien vers les États-Unis;
  • La forte augmentation de la production de gaz naturel de schiste aux États-Unis;
  • Le prix des produits de base qui demeure bas;
  • Des difficultés généralisées dans le secteur manufacturier canadien;
  • Une détérioration de la compétitivité des entreprises canadiennes.

Les perspectives d’avenir du huard ne sont pas très bonnes pour les prochains trimestres.

Taux de change

L’écart de croissance entre les États-Unis et ses principaux partenaires favorise fortement la hausse du dollar américain. L’amélioration du compte courant et la réduction rapide du déficit budgétaire fédéral sont également favorables au dollar américain.

La corrélation négative entre le marché boursier et le dollar américain a pris fin en 2013. Le billet vert se négocie maintenant en fonction des prévisions de croissance, qui tendent à entraîner une hausse des rendements boursiers et obligataires. Le déficit américain a reculé de 38 % en 2013 et la tendance pour les premiers mois de 2014 montre un recul de plus de 20 %.

Nous croyons que le dollar américain se trouve au début d’un marché haussier qui durera plusieurs années.

La période de gloire du huard est terminée. Le déficit du compte courant du Canada figure parmi les pires de tous les pays développés. Nous croyons également que la Banque du Canada maintiendra une politique monétaire accommodante plus longtemps que la Fed.

De toutes les monnaies qui s’échangent avec le dollar américain, la corrélation entre le huard et les obligations gouvernementales américaines de 10 ans est celle qui s’est renforcée le plus rapidement en 2013, selon les données de Bloomberg. Voilà pourquoi nous avons protégé notre portefeuille obligataire contre le risque de taux avec une exposition au dollar américain en 2013. Cette stratégie est toujours en vigueur dans nos portefeuilles.

Les transformations structurelles en Chine continueront d’inquiéter les marchés

La locomotive de la croissance économique mondiale poursuivra inévitablement son ralentissement, le recentrage de la croissance sur la demande intérieure n’ayant pas fini de nous faire sentir ses effets.

La première phase de croissance – la révolution industrielle – a amené la Chine à inonder le monde de produits manufacturés à prix cassés, contribuant ainsi au maintien d’une inflation faible et au boom du secteur des ressources naturelles.

Dans la deuxième phase du développement de l’économie chinoise, la consommation doit prendre le relais comme moteur de croissance. La part de l’investissement dans le PIB chinois devrait baisser de 48 % actuellement à 35 % d’ici cinq à sept ans, alors que la consommation des ménages et des administrations publiques passerait de 50 à 65 %.

Au cours de la même période, la croissance ralentira à un rythme annuel de 6,5 % entre 2016 et 2020, contre 7,6 % en 2013 et 10 % en moyenne depuis la fin des années 1970.

Les enjeux pour l’économie mondiale sont très importants. Les pays exportateurs de matières premières seront les plus touchés, même si la demande devrait demeurer relativement soutenue. Le recentrage chinois aura un effet positif sur des pays comme l’Inde ou l’Indonésie, leur permettant de conserver pendant encore quelques années une main-d’œuvre bon marché et une inflation faible. L’effet de la mondialisation sur l’inflation aura toutefois une fin. Il faudra demeurer attentif, car tôt ou tard, l’inflation ressurgira.

Autres effets positifs : la Chine, qui est déjà un marché lucratif pour les grands groupes de consommation occidentaux, offrira de nouvelles opportunités, grâce au développement de sa base de consommateurs. Le développement de la classe moyenne crée des opportunités dans les secteurs de la santé, de la technologie, et de la consommation de base et discrétionnaire.

Taux d’intérêt : à quand le retour de l’inflation ?

D’après nous, deux raisons principales expliquent la longue période actuelle de faible inflation.

  1. L’effet désinflationniste de la mondialisation;
  2. Les gains de productivité résultant de l’évolution technologique.

Au cours de la dernière décennie, la mondialisation a constitué une force désinflationniste puissante. Elle a freiné la croissance des salaires et tenu l’inflation en échec. À un moment donné, la vaste migration de travailleurs à bas prix prendra fin et les forces inflationnistes reviendront, ce qui poussera les taux d’intérêt vers le haut à long terme. Toutefois, nous n’en sommes pas encore là.

La croissance importante de la productivité au cours des 15 dernières années s’explique par l’évolution des technologies et a généré des surplus toujours élevés sur le plan de la capacité de production. Nous croyons que la croissance annuelle de la productivité se poursuivra à un rythme historique de 2,2 %.

Le taux d’inflation normal à long terme est d’environ 3,5 %. Ajoutons à cela un taux d’intérêt réel de 2 %, et nous obtenons un taux de 10 ans à 5,5 %, une cible qui reviendra un jour ou l’autre.

En attendant le retour de l’inflation, la hausse actuelle des taux d’intérêt constitue une normalisation des taux réels. Nous croyons que l’inflation demeurera sous les 2 % pendant un certain temps, ce qui limite la remontée des taux, qui devraient se négocier à l’intérieur d’une fourchette de 2,5 à 3,5 %.

En 2014, la courbe de rendement devrait continuer de s’accentuer faiblement pour ensuite s’aplatir en 2015, lorsque la Fed commencera à hausser son taux directeur. Au Canada, la corrélation des taux à long terme du pays avec ceux des États-Unis devrait pousser les taux de 10 ans à la hausse dans une proportion moindre.

Malgré la normalisation des taux d’intérêt à la hausse, les investisseurs doivent garder à l’esprit qu’un portefeuille diversifié doit contenir une part d’obligations. Celles-ci évoluent dans le sens contraire des actions et ont un rôle à jouer. Une hausse de taux n’est pas une bonne nouvelle pour les obligations, mais son impact n’est pas nécessairement aussi négatif pour un portefeuille analysé dans son ensemble. Nous nous attendons à une meilleure performance du marché obligataire en 2014.

Matières premières : l’éclaircie pourrait se faire attendre

Même si la croissance économique devrait être plus rapide en 2014, il semble de plus en plus évident que l’année 2013 a marqué un tournant pour le prix de plusieurs matières premières.

  • La fièvre de l’or, qui a duré plus d’une décennie, semble terminée.
  • Même si les prix du pétrole demeurent relativement élevés, la poussée de la production américaine a commencé à changer fondamentalement la dynamique dans le marché mondial de l’énergie.
  • La faiblesse des prix des métaux industriels reflète les surplus de production et les stocks élevés qui caractérisent actuellement la plupart des métaux dans le marché mondial. Au cours des dernières années, l’offre mondiale s’est accrue à un rythme supérieur à la demande.

Énergie : révolution énergétique américaine

Malgré les prédictions récurrentes selon lesquelles le monde allait un jour manquer de pétrole, les réserves ont augmenté plus vite que la consommation de 1986 à aujourd’hui. Pendant plusieurs années, la consommation mondiale et les réserves ont monté de 1,6 % en moyenne, alors que la production ne croissait que de 0,8 %. Cela a eu pour effet de réduire graduellement les surplus de production (qui étaient de 10 millions de barils par jour en 1986) et de créer un équilibre pétrolier précaire qui a alimenté la hausse des prix et la spéculation.

L’être humain aime bien imaginer une conspiration visant à faire monter les prix. La réalité est beaucoup plus banale : une fois de plus, les forces du marché se sont exercées. En réduisant le mince écart tampon entre l’offre et la demande, la demande des investisseurs et des spéculateurs a fait monter les prix plus tôt que cela n’aurait été le cas autrement. Cette hausse a accéléré les ajustements nécessaires à une augmentation de la production, tout en ralentissant la croissance de la demande.

Aucune des tensions entre l’offre et la demande n’est due à une pénurie de pétrole dans le sol. Il n’est pas simple de calculer le moment où le pic de production sera atteint. La technologie a continuellement accru les réserves connues et repoussé les prévisions. Le Département de l’énergie américain situe maintenant ce pic de production au milieu du siècle.

Alors que beaucoup parlaient de pic pétrolier et de prix toujours plus élevé au milieu des années 2000, un changement majeur est en cours dans le marché de l’énergie. En raison de l’augmentation de la production américaine, les grands exportateurs d’énergie feront face à un marché mondial beaucoup plus compétitif. Des écarts de production plus larges et une production mondiale mieux diversifiée auront pour effet de rendre le prix du pétrole moins vulnérable à la spéculation.

Une baisse ou une stabilisation des coûts de l’énergie pourrait avoir des effets très positifs sur la croissance économique mondiale et repousser à nouveau le retour de l’inflation.

Pour ce qui est de l’investissement dans le secteur de l’énergie en bourse, nous estimons que les évaluations sont raisonnables compte tenu du prix courant du pétrole. Plusieurs titres répondent à notre critère quantitatif d’achat si le prix du pétrole demeure stable. Toutefois, nous sommes loin d’être convaincus de la juste valeur du sous-jacent. Nous préférons demeurer absents de ce secteur pour le moment.

Résumé de nos opinions et de nos positionnements

  • Le cycle mondial repart avec les États-Unis en tête, suivi par le Japon et l’Europe, qui sort de récession. Une diminution des mesures d’austérité en Europe est maintenant envisageable en raison de la baisse des coûts d’emprunt en Espagne et en Italie.
  • La sortie de la Fed de son programme d’achat d’obligations est un risque clairement identifié et bien géré par le marché obligataire. N’oublions pas que les taux ont déjà doublé en 2013. Pour le moment, la création de monnaie n’est pas inflationniste.
  • La hausse des taux n’est pas le fruit d’un retour de l’inflation, mais d’une normalisation des taux réels. Le rendement du marché obligataire sera faible mais positif cette année, malgré les appréhensions générales. Nous conservons une durée courte et une exposition au dollar américain.
  • Le rendement des marchés boursiers sera nettement plus faible qu’en 2013, les valorisations étant de retour aux moyennes historiques. La faiblesse du dollar canadien favorisera la performance de notre composante croissance, qui est fortement pondérée à l’étranger.
  • Nous demeurons absents des pays émergents. Le rythme de croissance poursuit son ralentissement en douceur. Nous sommes d’avis que les valorisations sont plus intéressantes, mais que le cycle est peu favorable au marché boursier. En plus de l’énorme concurrence, la hausse des salaires fait pression sur les marges. Le risque demeure trop élevé.

Nous gardons le cap du point de vue sectoriel :

  • Nous demeurons absents du secteur des ressources, qui continuera de souffrir d’une surcapacité qui maintiendra les prix bas.
  • Nous évitons le secteur de la consommation discrétionnaire au Canada et des fiducies immobilières sensibles au taux d’intérêt.
  • Nous surpondérons le secteur de la consommation de base, de la santé et de la technologie tout en favorisant les multinationales.
  • Nous préférons les banques américaines aux banques canadiennes. Au Canada, dans le secteur des services financiers, nous favorisons les assureurs aux banques.
  • Nous voyons une opportunité dans les faibles évaluations des titres de sociétés de télécommunications européennes contrairement au Canada, où les titres sont pleinement évalués, alors que la croissance du secteur ralentit.

Nous vous souhaitons une bonne année 2014 !

 

Sources : Crédit Suisse, Bloomberg, RBC Gestion mondiale d’actifs et Alan Greenspan (Le temps des turbulences, Paris, éditions JC Lattès, 2007, 677 p.)

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