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Les leçons d’octobre 1979

Il y a 43 ans presque jour pour jour, soit le samedi 6 octobre 1979, la Réserve fédérale (Fed) a frappé un grand coup visant à combattre de plein fouet la spirale inflationniste qui sévissait alors aux États-Unis. Lors de cette réunion du Comité de politique monétaire (FOMC), présidé par Paul Volcker, il a été décidé que la Fed se devait de changer de stratégie et de tactique afin de rétablir sa crédibilité. Il s’en est suivi une période de resserrement monétaire et aussi deux récessions (celle du début de 1980, puis celle qui s’est étendue de l’été 1981 à l’automne 1982). Ce combat qui a amorcé un long cycle de désinflation permet de tirer quelques leçons qui peuvent être bien utiles aujourd’hui.

L’importance de rétablir la crédibilité de la Fed

La réunion spéciale du FOMC du 6 octobre 1979 a eu lieu dans un contexte économique et financier particulier. Choc pétrolier, inflation à plus de 10 %, augmentation des anticipations inflationnistes, baisse du dollar américain, appréciation du cours de l’or, forte hausse des prix de la plupart des matières premières, hésitations et dissidences lors des réunions précédentes du FOMC… Ce sont tous des facteurs qui ont fortement influencé les dirigeants de la Fed qui s’apercevaient que leur crédibilité était entachée. Le compte rendu de la réunion montre que Volcker voulait expressément casser le cercle vicieux et qu’ils ne pouvaient « repartir aujourd'hui sans un programme solide dans les faits, et perçu comme solide pour faire face à la situation ». Ils ont ainsi décidé de changer de stratégie et de tactique en établissant des cibles sur l’évolution de la masse monétaire qui seraient compatibles avec une inflation plus faible et en laissant les taux d’intérêt des fonds fédéraux fluctuer à la hausse afin de parvenir à ces cibles. Le recul nous démontre que pour diverses raisons, l’expérience de ciblage de la masse monétaire n’a pas été couronnée de succès, mais on retient surtout la volonté de regagner à tout prix la confiance des marchés et de la population. Il fallait aussi éviter que la situation inflationniste se détériore davantage et des petits gestes de politique monétaire ne suffisaient plus pour y arriver. Il fallait impressionner les marchés. Et tout ça, avec la pleine conscience que des difficultés économiques apparaîtraient à l’horizon.

Le besoin de cohérence et de persévérance

Cette crédibilité ne sera pleinement rétablie que si la Fed parvient à garder le cap. C’est aussi un des éléments importants des discussions de la réunion d’octobre 1979 et des réunions subséquentes. Tant que la conjoncture tient le coup, les décisions de la Fed ne sont pas trop difficiles à prendre, considérant que le problème inflationniste est reconnu par tous. Toutefois, c’est lorsque l’économie est en difficulté qu’il est difficile de ne pas vaciller. Les pressions populaires et gouvernementales voudront que la Fed se détourne du problème inflationniste pour appuyer l’économie et le marché du travail. Comme un participant à la rencontre de 1979 mentionnait, « notre crédibilité en souffrira vraiment si nous annonçons un changement de procédure et que nous n'avons ensuite pas le courage de le faire. »

La Fed a conservé sa politique restrictive et ses taux d’intérêt élevés pendant toute la période 1979-1982. Pas directement ciblés, les taux directeurs ont fluctué selon l’évolution de la demande et de l’offre de monnaie. Toutefois, en termes réels, ils sont restés positifs. La Fed a aussi eu certaines hésitations qui ont sans doute retardé le processus d’ajustement baissier des anticipations inflationnistes. Ce que l’on retient surtout, c’est qu’il a été nécessaire de conserver une politique monétaire restrictive malgré les récessions pour enfin faire diminuer l’inflation, puis les anticipations inflationnistes. On ne peut crier victoire dès que la cible est atteinte, il faut également bien ancrer cette cible dans les anticipations et les décisions de la population. Cela implique un risque que les choses puissent mal tourner avant de bien entrevoir les fruits de cet effort.

Ne pas trop dépendre d’indicateurs volatils

Une des erreurs de la politique monétaire établie en octobre 1979 a été de baser la stratégie sur des cibles très mouvantes que sont les agrégats monétaires. La situation d’alors a été d’autant plus complexe que des changements réglementaires, législatifs et technologiques ont eu des effets importants sur les variations des réserves des institutions financières, sur l’évolution du marché interbancaire et sur les habitudes d’épargne et d’emprunt des agents économiques. La Fed a donc dû ajuster ses cibles et les fourchettes de fluctuations des taux d’intérêt à de nombreuses reprises et cela a amené de la confusion sur les marchés et dans la population.

La Fed a grandement amélioré son approche depuis. Elle cible désormais une fourchette très mince pour le taux des fonds fédéraux, et vise un taux d’inflation de 2 %. Du côté de l’inflation, il faudra cependant se retenir de crier victoire trop rapidement lorsque les mouvements mensuels des prix à la consommation s’atténueront. On a déjà eu de faux espoirs au cours de l’été 2021 et en juillet dernier.

Les politiques monétaires et budgétaires devraient viser le même but

Un grand contraste entre la situation actuelle et celle de 1979 est que bien que les gouvernements perçoivent le problème inflationniste, ils ne font pas grand-chose pour l’atténuer. Au Canada, on perçoit même que les gouvernements tentent plutôt de réduire les conséquences de l’inflation sur la population plutôt que d’en combattre les causes. Dès sa nomination à la présidence de la Fed en juillet 1979, Volcker avait l’appui du président Jimmy Carter et cet appui a été réitéré par la suite par le président Reagan. Les deux présidents étaient également soucieux d’établir une politique budgétaire ou réglementaire visant à ne pas mettre de l’huile sur le feu inflationniste. Dans le contexte actuel, la tâche de la Fed et des autres banques centrales serait probablement plus facile si les gouvernements optaient pour une politique plus austère. Le clivage risque d’être encore plus important lorsque la population subira les effets néfastes d’une éventuelle récession, surtout si l’inflation est encore élevée.

Agir avant qu’il ne soit trop tard

Dans son autobiographie1 , Paul Volcker réitère que la politique monétaire se doit d’être contracyclique et qu’elle doit désamorcer les pressions inflationnistes le plus rapidement possible. Il rappelle les propos de l’un de ses prédécesseurs, William Martin (président de la Fed de 1951 à 1970) qui remarquait que le travail d’une banque centrale était d’enlever le bol de punch juste au moment où la fête commence vraiment. Comme ça n’a pas été fait de façon satisfaisante avant 1979, l’effort nécessaire pour réduire l’inflation et les anticipations inflationnistes a été plus dur et plus long. Toujours selon Volcker, « maintenir les attentes, cette confiance, est une responsabilité fondamentale de la politique monétaire. Une fois perdu, les conséquences peuvent être graves et la stabilité difficile à rétablir ». Il ajoute aussi qu’il faut se méfier des succès éphémères qui peuvent mener à un laisser-aller risquant de ramener une plus forte hausse des prix par la suite.

Est-ce que dans le cycle actuel les banques centrales ont agi trop tard avant d’amorcer une normalisation de leur politique monétaire? On peut penser que oui, mais il faut aussi être conscient que la situation pandémique et les vagues de COVID-19 ont rendu la conjoncture plus floue. Il est cependant clair que la Fed est maintenant en mode rattrapage et on peut supposer que ses dirigeants estiment maintenant qu’ils auraient dû commencer le travail un peu plus tôt.

Ressemblances et différences

Il ne faut pas négliger ce dont on peut apprendre du précédent cycle de forte inflation et bien appliquer certaines des leçons que l’on peut tirer de la politique monétaire mise en place en 1979. Cela dit, il ne s’agit pas non plus d’une recette à suivre à la lettre. Des erreurs ont été commises à cette époque et la conjoncture est aussi très différente. Aux États-Unis, la confiance envers la devise reste bien en place comme le démontre la force du billet vert. L’inflation est certes encore élevée, mais pas autant qu’en 1980. De plus, il n’est pas encore clair que les anticipations de long terme des ménages et des entreprises se soient ancrées à des niveaux nettement plus hauts qu’avant la pandémie. Les efforts pour rétablir la crédibilité de la Fed et pour ramener l’inflation vers sa cible devraient, heureusement, être moins douloureux qu’au début des années 1980.

Par Francis Généreux, économiste principal

1. Paul A. VOLCKER with Christine HARPER, Keeping at it : the quest for sound money and good government, New York, Hachette, 2018

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