Cette année marquera le 10e anniversaire du célèbre discours de Mario Draghi, dont plusieurs attribuent le renversement de la crise de la dette souveraine européenne. Depuis, les observateurs des banques centrales réfèrent souvent à la méthode « whatever it takes » pour décrire les postures très accommodantes que plusieurs d’entre elles ont prises ces dernières années. Ce fameux « whatever it takes » représente bien les actions menées par la Réserve fédérale (Fed) pour maintenir la liquidité dans le système financier en mars 2020 et pour soutenir la reprise de l’économie après la pandémie. Cependant, les six derniers mois ont été marqués par l’un des changements de discours des banques centrales les plus spectaculaires à être survenus récemment. Ce sentiment d’urgence et cet engagement qu’il y avait à soutenir l’économie sont maintenant appliqués à une autre mission : maîtriser l’inflation.
Le compte rendu de la réunion de la Fed des 15 et 16 mars derniers a été clair à ce sujet. Celui-ci a révélé que nous étions passés beaucoup plus près d’une hausse de 50 points de base des taux directeurs que ce qui était prévu alors. Les marchés voyaient seulement une probabilité de 15 % d’une telle occurrence, mais le compte rendu a laissé entendre que de nombreux dirigeants auraient effectivement préféré une augmentation de 50 points de base à celle de 25 points de base qui a été annoncée. Seul le président de la Fed de Saint‑Louis, James Bullard, s’est éloigné du consensus, la guerre en Ukraine amenant certains de ses homologues à s’inquiéter de l’effet perturbateur d’une hausse de 50 points de base sur les marchés. Toutefois, il est maintenant clair que James Bullard ne se distançait pas tant que ça de ses collègues, contrairement à ce qu’on a eu tendance à observer dans le passé. Qui plus est, nombreux sont les dirigeants à avoir également jugé qu’une augmentation de 50 points de base ou plus pourrait être justifiée lors de leurs prochaines réunions.
Depuis la décision de la Fed, Jerome Powell s’est montré très catégorique dans son discours du 21 mars, et d’autres dirigeants habituellement plus timorés ont également haussé le ton devant la menace de l’inflation. La dernière a été la gouverneure Lael Brainard qui, mardi, a signalé que la réduction du bilan de la Fed pourrait s’amorcer dès la réunion de mai et qu’elle se déroulerait rapidement. Cette déclaration a été confirmée mercredi, alors que le compte rendu de la réunion de la Fed détaillait un plan visant à établir des plafonds de resserrement quantitatif à 95 G$ US par mois (60 G$ US en obligations et 35 G$ US en titres adossés à des créances hypothécaires) qui serait échelonné sur trois mois seulement. Par conséquent, à sa vitesse maximale, cette réduction du bilan se déroulera presque deux fois plus vite que lors du programme de resserrement quantitatif du cycle précédent.
Il n’y a pas que les dirigeants actuels de la Fed qui se font entendre. Mercredi, l’ancien président de la Fed de New York, William Dudley, a publié une lettre d’opinion incendiaire dans laquelle il soutenait que la Fed pourrait devoir orchestrer une correction du marché boursier afin d’atteindre le resserrement nécessaire pour maîtriser l’inflation. Pour la Fed qui a toujours eu peur de froisser les acteurs des marchés financiers, il est difficile d’être davantage en mode « whatever it takes »!
William Dudley a-t-il toujours une influence? Au début de janvier, il a fait valoir que la Fed devait relever ses taux au-dessus du taux neutre, à un moment où la projection médiane du FOMC ne prévoyait même pas que le taux des fonds fédéraux dépasserait 2 % avant 2024. À peine deux mois plus tard, les dirigeants s’étaient largement ralliés à son point de vue. Quand William Dudley parle, les dirigeants de la Fed l’écoutent, et donc lorsqu’il dit que la Fed doit donner un électrochoc aux marchés boursiers, les investisseurs devraient aussi en prendre note. Il fut un temps où la Fed était la meilleure amie des marchés. Plus maintenant.
Par Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège
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