Au début du mois, des gestionnaires de portefeuille, des participants au marché et d’éminents PDG ont révisé leurs perspectives de politique monétaire pour le Canada, s’attendant à des resserrements plus hâtifs. Un certain nombre de prévisionnistes économiques canadiens ont fait de même cette semaine. Nous avons nous-mêmes pris part au débat en devançant la date prévue pour le premier relèvement des taux directeurs d’octobre à juillet 20221 . Nous prévoyons maintenant deux hausses en 2022, suivies de trois autres en 2023. Ces ajustements ont été motivés par un certain nombre d’observations.
Premièrement, le Canada a géré avec succès la vague liée au variant Delta au cours des derniers mois. Rappelons que celui-ci était 1 000 fois plus infectieux que la souche originale, mais grâce à l’un des taux de vaccination les plus élevés du G7, le Canada dans son ensemble n’a pas connu de hausse exponentielle des infections. Deuxièmement, l’inflation a continué de défier les attentes. On a beaucoup parlé de l’inflation qui a atteint 4,4 %, son niveau le plus élevé depuis 2003. On a moins fait état du fait que la croissance mensuelle de l’indice des prix à la consommation a dépassé la prévision consensuelle médiane pour la cinquième fois au cours des six derniers mois. Bien que nous estimions qu’un sommet de l’inflation a probablement été atteint, les données pour les mois à venir resteront néanmoins inconfortablement élevées, ce qui alimentera davantage la spéculation selon laquelle ce sont désormais les facteurs persistants qui sont aux commandes de l’inflation. Troisièmement, la dernière enquête de la Banque du Canada (BdC) sur les perspectives des entreprises a révélé que les entreprises canadiennes débordent d’optimisme. L’indice global de l’enquête a atteint un niveau record, et le rapport a fait état d’une augmentation marquée des attentes d’inflation à court terme.
Tout cela met la table pour une réunion intéressante de la BdC le 27 octobre prochain. Si l’inflation n’était pas largement alimentée par les chocs de l’offre, le débat aurait peut-être même été de savoir s’il fallait une hausse de 25, 50 ou 100 points de base. Il reste que pour éviter de commettre une erreur de politique, les banques centrales doivent déterminer si c’est l’offre ou la demande qui est à l’origine de l’inflation actuelle. Dans un prochain Point de vue économique, nous dépoussiérerons les bonnes vieilles courbes d’offre et de demande de nos cours d’économie du baccalauréat pour illustrer ce point, mais déjà, ce que l’on peut dire, c’est que la politique monétaire a peu d’influence directe sur l’offre agrégée. Un relèvement agressif des taux ne résoudra pas le cauchemar logistique du transport maritime mondial, il ne remplira pas les lots de concessionnaires automobiles et il ne remédiera pas à l’inadéquation des compétences sur le marché du travail. Un resserrement rapide ne ferait qu’intensifier le ralentissement actuel de l’immobilier et refroidir la demande des biens de consommation sensibles aux taux. Si les perturbations de l’offre s’avèrent temporaires, les pénuries pourraient rapidement se transformer en excédents et l’inflation, en déflation.
Par ailleurs, la BdC doit tenir compte des changements dans les politiques budgétaires et sanitaires d’urgence. On pourrait même avancer que ces politiques sont davantage responsables de la distorsion actuelle entre l’offre et la demande que la politique monétaire. Cette semaine, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a annoncé que la Prestation canadienne de la relance économique prendrait fin et que les programmes de soutien aux entreprises ne seraient accessibles qu’aux secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, ainsi qu’à quelques autres entreprises durement touchées. Il est difficile de savoir comment ces changements affecteront les taux d’insolvabilité des entreprises dans les mois à venir. Dans un scénario pessimiste, ils pourraient provoquer une hausse des faillites et des pertes d’emploi permanentes, pour les entreprises se voyant retirer un soutien financier vital. Entre-temps, sur le plan de la politique sanitaire, la réouverture encourage la réaffectation des budgets de dépenses de consommation vers les services, ce qui devrait atténuer une partie de la pression inflationniste sur les biens à l’avenir, d’autant plus que la demande refoulée de biens a probablement été satisfaite.
La BdC a donc encore la latitude de surveiller l’évolution de ces dynamiques, d’autant plus que les marchés prennent actuellement les choses en main. Sans que la BdC lève le petit doigt, le taux de l’obligation de 5 ans, l’un des taux les plus influents dans l’écosystème financier canadien, a augmenté de près de 47 points de base depuis le début de septembre. Nous nous attendons à ce qu’il augmente d’environ 30 points de base supplémentaires d’ici à ce que la BdC relève enfin ses taux, ce qui signifie que le resserrement est déjà en cours. On peut donc se demander pourquoi plusieurs semblent penser que la BdC devrait se précipiter.
Par Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège
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