En matière d’inflation, les surprises positives ont été rares ces derniers temps. C’est pourquoi les marchés se réjouissent du fait que l’inflation pour le mois d’octobre s’est montrée inférieure aux attentes. Même qu’à 7,7 %, l’inflation a été inférieure à la prévision la plus conservatrice, parmi celles compilées par Bloomberg. La mesure de l’inflation de base, qui affichait jusque-là un certain entêtement, est passée de 6,6 % à 6,3 %, ce qui est encourageant. Sur une note encore plus positive, la mesure annualisée sur trois mois de l’inflation de base a décéléré à 5,8 %, ce qui suggère que nous devrions continuer d’observer un ralentissement de l’inflation.
Le processus pourrait néanmoins s’opérer encore lentement. Même si les pressions sur la chaîne d’approvisionnement se sont atténuées et que les prix mondiaux des denrées alimentaires et de l’énergie ont chuté, la littérature académique suggère que la transmission complète de ces types de chocs peut prendre jusqu’à un an avant de se refléter pleinement dans les prix à la consommation.
Cela dit, les responsables de la Fed sont conscients des décalages et la bonne surprise d’octobre devrait les rassurer quelque peu. La semaine dernière, le rapport sur l’emploi du mois d’octobre donnait l’impression que le marché de l’emploi américain bénéficiait d’encore beaucoup d’élan. En effet, malgré les licenciements qui ont fait la manchette dans des secteurs tels que la technologie, la construction et les loisirs ont tout de même vu l’emploi selon l’enquête auprès des entreprises augmenter de 4 millions de personnes en 2022 jusqu’à présent. C’est censé être une nouvelle positive, mais ce l’est beaucoup moins lorsque le marché de l’emploi est en surchauffe et que la Fed essaie de faire ralentir la demande. En dépit d’un marché de l’emploi encore vigoureux, le fait que l’inflation pourrait commencer à se comporter comme souhaité vient renforcer notre opinion selon laquelle la Fed réduira le rythme de ses hausses à partir du mois prochain.
Pendant ce temps, au Canada, le rapport sur l’IPC sera publié mercredi prochain. La persistance des mesures de l’inflation de référence a été une préoccupation pour la Banque du Canada, mais comme pour les États‑Unis, les tendances de court terme de l’inflation de référence sont ce sur quoi nous devrions prêter plus d’attention. Là-dessus, une certaine accalmie a déjà été observée et nous surveillerons si cette dynamique se poursuit.
La création d’emplois, particulièrement vigoureuse pour le mois d’octobre, avait donné une brève frayeur quant à la trajectoire de la politique de la Banque du Canada. Néanmoins, l’amélioration s’est accompagnée d’une forte hausse du taux de participation, laissant le taux de chômage inchangé. Par conséquent, à moins d’une mauvaise surprise majeure au niveau de l’IPC, la Banque du Canada devrait également être en mesure de ralentir le rythme de son resserrement, avec une hausse de 25 points de base en décembre, ce qui en ferait la plus petite hausse de taux depuis mars. La Banque du Canada pourrait ensuite prendre une pause à 4 %.
Cela suppose toutefois que la politique budgétaire ne viendra pas brouiller les cartes. De ce point de vue, la Fed peut probablement dormir un peu plus tranquille que son homologue canadienne. Les élections de mi-mandat risquent d’aboutir en un Congrès divisé, ce qui empêchera assurément l’adoption de mesures politiques majeures. Cette « discipline par le dysfonctionnement » aurait été décourageante au cours de la décennie 2010 mais elle s’avère plutôt utile dans le contexte actuel. De plus, les démocrates ont fait adopter leurs programmes phares au cours des deux années où ils ont contrôlé le Congrès, de sorte que les priorités en investissement public à long terme sont prises en main.
La situation est un peu différente au Canada. L’énoncé économique de l’automne de Chrystia Freeland établissait un juste équilibre entre la solidarité avec les personnes les plus touchées par la hausse du coût de la vie et le genre de restrictions budgétaires qui font défaut ailleurs. Chrystia Freeland s’est explicitement engagée à ne pas compliquer la tâche de la BdC.
Toutefois, ce genre de coordination entre décideurs budgétaires et monétaires disparaît lorsqu’on se rend au palier provincial. Compte tenu des pressions politiques actuelles pour s’attaquer au problème du coût de la vie au moyen de politiques budgétaires expansionnistes, les prochaines mises à jour économiques et financières des provinces seront un facteur pertinent pour nos perspectives de taux d’intérêt.
L’Ontario annoncera sa mise à jour lundi prochain. Pour ce qui est du soutien au coût de la vie, la province figure parmi les plus parcimonieuses au pays, les mesures en ce sens ne représentent qu’une maigre portion de son PIB jusqu’à maintenant cette année. Cela pourrait changer, car le gouvernement subit des pressions pour redistribuer les nouvelles recettes fiscales exceptionnelles attendues. Le cas de l’Alberta est encore plus frappant, car la province devrait afficher le plus important surplus jamais enregistré pour une province. Même si le gouvernement a voulu prioriser le remboursement de la dette jusqu’à maintenant, la Première ministre Danielle Smith a signalé cette semaine que de nouvelles mesures de soutien seraient annoncées bientôt.
Le Québec devrait présenter sa mise à jour au début décembre, et les nouveaux transferts aux ménages promis par la Coalition Avenir Québec (CAQ) lors de la dernière campagne électorale seront probablement officialisés. À environ 1 % du PIB nominal (selon le cadre financier dévoilé par la CAQ aux dernières élections), les mesures d’aide au coût de la vie du Québec pourraient être parmi les plus généreuses au pays.
Toutefois, selon nos prévisions, le Canada tombera dans une légère récession au début de l’année prochaine. Chaque province devrait donc s’attendre à ce que ses résultats budgétaires se détériorent. Des mesures d’aide mal calibrées pourraient aggraver les choses, non seulement en stimulant les dépenses, mais aussi en entraînant une réponse plus agressive des autorités monétaires.
Cela causerait une récession plus grave, qui affecterait à son tour les recettes budgétaires, soulèverait possiblement des questionnements entourant la viabilité budgétaire des gouvernements et, en fin de compte, inhiberait la capacité de ceux-ci à soutenir la reprise par le biais de mesures économiques axées sur l’offre.
La meilleure chose que les gouvernements peuvent faire pour lutter contre l’inflation, c’est de se concentrer sur l’augmentation de l’offre. Espérons que leurs mises à jour budgétaires montreront qu’ils ont bien compris le message.
Par Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège
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