Après plus de 18 mois à répéter que la pandémie constitue le premier facteur de risque pour l’économie, le suspense actuel sur le plafond de la dette aux États‑Unis amène un peu de variété. C’est toutefois le seul aspect positif qu’on peut mentionner. Si les membres du Congrès ne parviennent pas à s’entendre dans les prochaines semaines sur un relèvement de ce plafond, les États‑Unis pourraient faire défaut sur leurs obligations pour la première fois de leur histoire. Le système de plafond légal de la dette existe depuis 1917 et limite la capacité d’emprunter du gouvernement. Habituellement, les membres du Congrès prévoient un relèvement de ce plafond dans les lois budgétaires qu’ils entérinent. Ils peuvent également voter pour un relèvement du plafond de la dette de manière séparée ou encore voter pour une suspension du plafond de la dette (comme c’est arrivé en août 2019). Sauf que depuis une décennie, le plafond de la dette est employé comme moyen de pression politique, surtout du côté des Républicains, en vertu de leur conservatisme budgétaire. En 2011 et en 2013, le plafond de la dette avait été atteint et le Trésor américain s’était vu dans l’obligation de temporairement recourir à des mesures extraordinaires pour pouvoir continuer d’honorer ses engagements pendant que les Démocrates et les Républicains négociaient des ententes de dernière minute.
Un peu plus de dix ans après cet épisode, les États‑Unis se retrouvent empêtrés dans cette même situation, et ce, malgré le fait que les Démocrates contrôlent les deux chambres du Congrès. L’enjeu est entremêlé aux deux programmes économiques phares de l’administration Biden. D’une part, un programme d’infrastructures de 1 200 G$ US, qui a reçu l’aval du Sénat en août dernier et, d’autre part, un programme de relance de 3 500 G$ US (sur dix ans), contenant un large éventail de mesures progressistes, financées en partie par des hausses d’impôts. Cette mesure doit faire l’objet d’un vote à la Chambre des représentants d’ici peu pour ensuite être envoyée au Sénat. Si le programme d’infrastructures a généralement fait l’objet d’un consensus bipartite, celui de relance est honni des Républicains et est également objecté par certains Démocrates centristes au Sénat qui le jugent trop onéreux. Toutefois, les Démocrates disposent d’une majorité extrêmement mince au Sénat. Ils doivent ainsi utiliser la voie de la réconciliation budgétaire, permettant de faire passer une loi avec une majorité simple (et non 60 votes), puis compter sur un appui unanime de leurs sénateurs. Devant les réticences de leurs collègues centristes du Sénat, certains représentants démocrates progressistes menacent de voter contre le programme d’infrastructures. C’est donc tout le plan économique de l’administration Biden qui pourrait s’écrouler dans les prochaines semaines.
Quel est le lien avec le plafond de la dette? En principe, il n’y en a pas. Les Démocrates peuvent faire passer une loi de manière séparée pour une suspension, ce qu’ils ont d’ailleurs fait à la Chambre des représentants cette semaine. Toutefois, les Républicains avaient déjà prévenu les Démocrates qu’ils ne pourraient compter sur aucun de leurs votes et la stratégie risque d’échouer. Pendant ce temps, passer par une nouvelle réconciliation budgétaire serait un processus complexe et long. Les Démocrates pourraient tenter d’ajouter une clause d’augmentation de la limite d’endettement au plan de relance de 3 500 G$ US, mais, pour ce faire, ils doivent en arriver à une mouture qui satisfasse à la fois la frange plus conservatrice et la frange progressiste du parti. Les tractations pourraient s’étirer. Or, la secrétaire du Trésor, Janet Yellen, a annoncé qu’un défaut de paiement pouvait survenir dès le 18 octobre si le plafond n’était pas relevé d’ici là. Le Bipartisan Policy Center a estimé que la « date X » serait quelque part entre le 15 octobre et le 4 novembre.
Bref, l’issue de ce nouvel épisode de tensions est hautement incertaine, et bien qu’il existe certaines autres manières théoriques dont le plafond pourrait être relevé ou suspendu, leur légalité est contestée parmi les académiciens constitutionnels et elles n’ont jamais été sérieusement considérées. Les marchés risquent de porter énormément d’attention à cet enjeu ces prochaines semaines. En 2013, une inversion de la pente dans les bons du Trésor a été observée à mesure que la date limite approchait. Pour l’heure, ce n’est pas encore le cas, suggérant que les investisseurs escomptent une probabilité faible d’un défaut à court terme. Si un défaut devait survenir, la Réserve fédérale dispose de certains outils pour tenter de mitiger les impacts sur le système financier. Il ne faut toutefois pas s’y méprendre : il s’agirait d’un plongeon dans l’inconnu. Jerome Powell a signalé que les conséquences pourraient être catastrophiques, tandis que Janet Yellen n’a pas hésité à évoquer une crise financière et une récession. Distraction pandémique certes, mais il s’agit d’un suspense dont on se serait bien passé.
Par Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège
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