Les responsables de la politique monétaire canadienne auront une décision importante à prendre la semaine prochaine. Il s’agira en fait de la délibération la plus cruciale de ce cycle de hausses de taux. Le marché a ouvert la porte à une augmentation de 75 points de base (pb) du taux directeur mercredi prochain, et la Banque du Canada (BdC) peut donc certainement franchir cette ligne sans trop indisposer les marchés. Cependant, l’environnement global est beaucoup plus précaire qu’il ne l’était au moment des précédentes décisions.
Augmenter les taux par tranche de 75 ou 100 pb n’est pas si audacieux quand les coûts d’emprunt se situent à des niveaux très bas. Et fermer le bar lorsque la fête est complètement hors de contrôle et que la police est en route tombe sous le sens. Cela aurait probablement dû être fait plus tôt, comme on l’a d’ailleurs suggéré. Mais c’était à l’époque où les faibles taux stimulaient encore l’économie et ils sont maintenant bien plus élevés.
Bien sûr, la BdC peut invoquer un certain nombre de raisons pour justifier une hausse de 75 pb la semaine prochaine. Une augmentation de cette ampleur correspondrait à nos attentes pour la prochaine annonce de la Réserve fédérale américaine (Fed). Elle permettrait de se défendre contre une dépréciation accrue du dollar canadien qui ferait augmenter encore davantage les prix à la consommation. Cela permettrait également à la BdC d’établir un peu plus sa crédibilité advenant une nouvelle hausse‑surprise de l’inflation, ce qui pourrait l’aider dans sa tentative de contrôler les anticipations. Cet argument n’est cependant pas sans faille, puisque les propres enquêtes de la BdC montrent qu’environ 60 % des consommateurs ne savent pas si les hausses de taux feront reculer l’inflation, ou encore croient que des coûts d’emprunt plus élevés alimenteront de nouvelles pressions sur les prix.
Pour toutes ces raisons, nous croyons que la BdC relèvera son taux directeur de 75 pb la semaine prochaine. Nous nous demandons cependant si c’est la meilleure voie à suivre, ou si elle ne ferait pas mieux d’espacer les hausses. La politique monétaire fonctionne avec d’importants décalages, de sorte qu’utiliser les données actuelles pour guider les décisions est dangereux – et garantit presque qu’on ira trop loin.
Récemment, la Banque de réserve d’Australie (RBA) a adopté une approche différente. Les banquiers centraux ont surpris les marchés et les économistes en augmentant les taux de seulement 25 pb au lieu des 50 pb attendus. Il est vrai que la RBA a un mandat plus large, qui englobe l’emploi et la prospérité économique en plus de l’inflation, alors que la BdC ne cible officiellement que cette dernière. La croissance des salaires est également plus faible en Australie qu’au Canada. Malgré tout, les deux économies présentent de nombreuses similitudes. Toutes deux ont une main-d’œuvre qui croît plus rapidement qu’ailleurs, notamment aux États-Unis, ce qui devrait contribuer à atténuer tôt ou tard la pénurie de main-d’œuvre. Les deux ont également des ratios d’endettement des ménages très élevés et des structures du marché hypothécaire faisant en sorte que la hausse des taux d’intérêt est ressentie plus rapidement – et plus durement – par les ménages. En fait, comparativement à l’Australie, le secteur de l’habitation occupe une plus grande part de l’économie canadienne, ce qui accroît la sensibilité de cette dernière aux taux d’intérêt.
Ainsi, bien que nous tablions sur la hausse de 75 pb de la part de la BdC la semaine prochaine, nous ne sommes pas convaincus que ce soit la bonne chose à faire. Si elle y va bel et bien d’une deuxième hausse consécutive de cette ampleur, nous croyons fermement que ses dirigeants devraient être plus transparents qu’ils ne l’ont été jusqu’ici sur la probabilité d’une récession en 2023. Cependant, à la lumière de leur bilan récent, nous ne pouvons pas supposer qu’ils le feront.
Par Royce Mendes, directeur général et chef de la stratégie macroéconomique
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