Comme nous sommes davantage marqués par les expériences et les informations négatives que positives (biais de négativité ), les médias financiers privilégient ce type de sensationnalisme. On n’a qu’à penser aux manchettes du genre : le fonds ABC perd 50 millions de dollars, la compagnie DEF congédie 2000 employés ou le Dow Jones Industrial Average chute de 1000 points. Notre attention est donc naturellement captée par la gravité de la situation exprimée par des chiffres impressionnants. C’est ce que l’on appelle « l’aveuglement du dénominateur ». Pour mieux comprendre cette notion, laissez-moi vous présenter une expérience réalisée par deux psychologues de l’Université du Massachusetts à Boston3.
Dans le cadre de l’étude, les participants remportaient un dollar chaque fois qu’un bonbon rouge était pigé d’un bol de bonbons. Ils devaient d’abord choisir entre deux bols : le premier comprenait un bonbon rouge et neuf bonbons blancs pour un total de dix bonbons, tandis que le deuxième comprenait cinq bonbons rouges et quatre-vingt-quinze bonbons blancs pour un total de cent bonbons. Pour les guider dans leur choix, les chercheurs ont pris la peine de rappeler la probabilité d’obtenir un bonbon rouge pour chacun des deux bols : 10 % (1/10) et 5 % (5/100).
Bol / Couleur des bonbons | Rouge | Blanc | Probabilité de piger un bonbon rouge |
---|---|---|---|
1 | 1 | 9 | 10 % |
2 | 5 | 95 | 5 % |
En ayant en main cette information, n’était-il pas logique de s’attendre à ce que l’ensemble des sujets optent pour le premier bol étant donné qu’il affichait une probabilité de succès plus élevée?
Eh bien, ce n’est pas ce qu’ils ont fait. Bien qu’ils étaient conscients du taux de succès moindre du deuxième bol, de nombreux participants l’ont choisi pour la simple raison qu’il contenait plus de bonbons rouges! Ces derniers ont donc porté leur attention uniquement sur le nombre de bonbons rouges, négligeant du coup la taille de l’échantillon, d’où l’expression « l’aveuglement du dénominateur ». Aux fins de rappel, pour effectuer le calcul d’une probabilité, il faut diviser le numérateur (nombre d’occurrences) par le dénominateur (taille de l’échantillon).
En analysant les exemples hypothétiques de manchettes cités ci-haut, il est facile de constater que nous n’avions aucune idée du dénominateur, une information cruciale pour juger de la pertinence de la rubrique.
En raison de la réouverture soutenue de l’économie combinée à un déséquilibre entre l’offre et la demande de certains produits et services, nous constatons une accélération marquée de l’inflation. Par exemple, pour la récente donnée de l’indice des prix à la consommation (Consumer Price Index) aux États-Unis, on parle d’une croissance annualisée de 5 %, sa plus forte progression en près de 13 ans . Cela s’explique par l’augmentation impressionnante du prix de certains biens comme les billets d’avion (+24 %), les voitures d’occasion (+30 %) et l’essence (+56 %).
À la lumière de ces données pour le moins spectaculaires, il est normal que le sujet de l’inflation fasse régulièrement la une des médias financiers et qu’il suscite un débat passionné à savoir si sa dernière poussée haussière est simplement le résultat d’un retour vers la moyenne (régime transitoire) ou si elle représente une nouvelle réalité pour notre société (régime permanent). Il est encore trop tôt pour se prononcer, mais nous tenons à souligner une autre belle manifestation de « l’aveuglement du dénominateur ».
Prenons l’exemple du prix de l’essence. Bien qu’il soit en hausse de plus de 50 sur une base annualisée, il se cote sensiblement au même niveau qu’en juin 2018 et, comparativement à son niveau d’il y a dix ans, il est en baisse d’environ 20 ! Cela démontre l’importance de tenir compte du contexte et, dans le cas présent, la croissance fulgurante du prix du pétrole est justifiée par le fait qu’à pareille date l’an dernier, l’économie était au ralenti.
Indices de référence | Rendement en $ CA |
---|---|
S&P 500 | +11,99 % |
S&P/TSX | +17,30 |
MSCI World | +10,14 |
MSCI EAFE | +6,13 |
FTSE TMX Canada Universe Bond | -3,46 |
Indices de référence | Rendement en $ US |
---|---|
Or | -6,76 % |
Pétrole | +51,42 % |
Type de portefeuille | Rendement du portefeuille (A) | Rendement de l’indice de référence (B) | Alpha (C) = (A) – (B) |
---|---|---|---|
Croissance | +19,25 % | +13,68 % | +5,57 % |
Obligataire | +4,43 % | -3,46 % | +7,90 % |
Actions privilégiées | +18,50 % | +14,30 % | +4,20 % |
Équilibré fiscal* | +15,42 % | +9,37 % | +6,06 % |
* Le rendement est calculé à partir d’un compte client et ne tient pas compte des frais de gestion. Le rendement réel peut varier en fonction du moment de l’investissement. La répartition de l’indice de référence est la suivante : 25 % S&P/TSX, 25 % MSCI World, 25 % Indice d’actions privilégiées S&P/TSX et 25 % Indice obligataire FTSE TMX Canada Universe Bond pour le portefeuille équilibré fiscal. L’indice de référence du portefeuille Croissance est 50 % S&P/TSX et 50 % MSCI World, celui du portefeuille obligataire est 100 % FTSE TMX Canada Universe Bond, et celui du portefeuille d’actions privilégiées est 100 % Indice d’actions privilégiées S&P/TSX.
Le 16 juin dernier, à la surprise générale, la Réserve fédérale américaine (Fed) a signalé son intention de hausser le taux directeur à deux reprises en 2023, un changement de ton par rapport à son discours précédent; la première hausse du taux directeur n’était prévue qu’en 2024. En révisant à la hausse ses prévisions de croissance du produit intérieur brut (+7 % par rapport à 6,5 %) et de l’inflation (+3,4 % par rapport à +2,4 %) pour cette année, la Fed n’a eu d’autre choix que d’envisager une approche plus restrictive en ce qui a trait à sa politique monétaire.
Cela a eu pour conséquence d’aplatir la courbe des taux d’intérêt aux États-Unis (la représentation graphique du niveau des taux d’intérêt en fonction de leur échéance). En consultant le graphique ci-dessous, on remarque que la ligne rouge (en date du 18 juin) a une pente moins abrupte que les lignes bleue (en date du 18 mai) et noire (en date du 18 juin 2020). À la suite de l’annonce de la Fed, au lieu de progresser, les taux d’intérêt à long terme ont reculé à des niveaux inférieurs à ceux du mois précédant, réduisant ainsi leur écart avec les taux d’intérêt à court terme.
En général, ce type de courbe est associé à des anticipations de croissance économique plus modestes qu’anticipées. L’idée est qu’un resserrement plus hâtif de la politique monétaire réduirait le risque de surchauffe économique qui se traduirait par des pressions inflationnistes moins élevées. En outre, la propagation rapide du variant Delta très contagieux dans certaines régions du globe comme l’Inde, la Russie et le Japon met en doute le scénario d’une reprise robuste de l’économie mondiale pour la deuxième moitié de l’année. Faut-il s’en inquiéter? Tout d’abord, notre positionnement qui table sur un environnement de taux d’intérêt à la hausse a porté ses fruits. Malgré la baisse actuelle des taux d’intérêt à long terme, l’ensemble de nos principaux modèles de gestion s’en sont très bien tirés tant sur le plan de la performance absolue que relative lors du premier semestre. De même, nous sommes d’avis que la relance économique se poursuivra au cours des prochains mois, et ce, en dépit de la présence de variants de la COVID-19. Naturellement, certains diront que nous affichons un optimisme naïf face à ce risque non négligeable.
Pour reprendre l’expression fort à propos de Hans Rosling, l’auteur du livre à succès Factfulness, nous nous considérons plutôt comme des « possibilistes ». Cela consiste à reconnaître tout le progrès qui a été accompli au fil du temps, ce qui renforce notre conviction qu’il sera toujours possible de réaliser davantage de progrès. Nous en avons encore eu la preuve avec le développement de vaccins en un temps record. Voilà pourquoi nous pensons que l’inquiétude quant à la vigueur de la croissance économique reflétée dans la baisse des taux d’intérêt à long terme est un phénomène transitoire.
Sources :
Cox, J. (2021). Consumer prices jump 5 % in May, fastest pace since the summer of 2008. CNBC.
Denes-Raj, V. et Epstein, S. (1994). Conflict between intuitive and rational processing: When people behave against their better judgment. Journal of Personality and Social Psychology, 665(2), 819-829.
Ritholz, B. (2015). Don’t Suffer From Denominator Blindness, The Big Picture.
Svetkoska, S. (2021). Le variant Delta progresse, inquiétudes pour la finale de l’euro-2020, La Presse.
The Goldmine (2021). The Inflation Reset. The Compound.
Tierney, J. et Baumeister, R (2019). The Power of Bad: How the Negativity Effect Rules Us and How We Can Rule It. Penguin Press.
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